Le désir? Mais qu'entend-il au juste par ce terme? M. Comte-Sponville s'est appuyé sur son Dictionnaire philosophique (Puf, 2013) pour le préciser. Ainsi, il estime que l'on se fourvoie lorsqu'on considère le désir comme un manque. Platon considérait que «l'amour est désir, et le désir est manque» : «Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour», disait le philosophe grec dans Le Banquet. Et Jean-Paul Sartre abondait dans le même sens dans L'Être et le Néant : «L'homme est fondamentalement désir d'être» et «Le désir est manque». «Platon et Sartre ont tort, et c'est tant mieux», lâche M. Comte-Sponville.
Pourquoi? Parce que pour qu'une définition soit juste, il faut qu'elle soit toujours juste. Or, on peut très bien désirer ce qui ne nous manque pas. M. Comte-Sponville s'appuie sur un exemple concret : «Si je désire écouter Mozart, ce n'est pas parce qu'il me manque, c'est parce que je l'aime, ce qui est très différent», illustre-t-il.
Voilà pourquoi mieux vaut plutôt entendre le désir comme l'entendaient deux autres philosophes, Aristote et Spinoza. «Aristote disait dans De l'âme : "Il n'y a qu'un seul principe moteur, la faculté désirante". Quant à Spinoza, il affirmait que "le désir est l'essence même de l'homme". Si bien qu'on peut en déduire que le désir n'est pas manque, mais puissance», dit-il.
D'où sa propre définition du désir, comme «puissance, force, énergie». «Il est l'expression en nous du conatus, c'est-à-dire de notre puissance d'exister, d'agir et de jouir», résume-t-il. Autrement dit, c'est «notre besoin d'exister plus, la puissance d'exister le plus possible». Et d'ajouter : «Quand cette puissance est satisfaite, quand en effet nous existons davantage, nous éprouvons alors ce qu'on appelle la joie. Inversement, quand nous existons moins, nous connaissons la tristesse».