Grâce à Twitter, j'ai pu suivre en détails une conférence tenue hier par le philosophe français André Comte-Sponville aux Assises du recrutement, un événement qui s'est tenu au Grand auditorium du Médef, à Paris. Une conférence passionnante pour qui se pique de management.
Découvrez mes précédents billets
Ma toute nouvelle page Facebook
Mon compte Twitter
Et mon livre : Le Cheval et l'Âne au bureau
Car l'auteur du Petit traité des grandes vertus a le chic pour provoquer des réflexions en profondeur chez autrui. Un exemple frappant : à l'occasion d'une conférence tenue à Angers en 2009, il a fait un parallèle a priori choquant entre le management et l'esclavagisme – «Le fouet faisant défaut de nos jours, on a inventé le management», avait-il lancé –, mais un parallèle qui, reconnaissons-le bien humblement, a le mérite de bousculer nombre d'idées reçues. Pas vrai?
Hier, donc, le philosophe a parlé du… désir. Oui, vous avez bien lu, du désir. Et ce, dans le cadre du quotidien au travail. Une idée surprenante au premier coup d'oeil, mais une idée fondamentale quand on la regarde de près, comme je vais tâcher de vous le montrer.
«Le manager doit être avant tout un professionnel du désir.» Voilà la grande phrase de M. Comte-Sponville que l'on peut extraire de sa conférence. Elle signifie que tout manager digne de ce nom se doit d'accorder une grande attention à cette dimension du travail trop souvent occultée qu'est le désir.
Le désir? Mais qu'entend-il au juste par ce terme? M. Comte-Sponville s'est appuyé sur son Dictionnaire philosophique (Puf, 2013) pour le préciser. Ainsi, il estime que l'on se fourvoie lorsqu'on considère le désir comme un manque. Platon considérait que «l'amour est désir, et le désir est manque» : «Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour», disait le philosophe grec dans Le Banquet. Et Jean-Paul Sartre abondait dans le même sens dans L'Être et le Néant : «L'homme est fondamentalement désir d'être» et «Le désir est manque». «Platon et Sartre ont tort, et c'est tant mieux», lâche M. Comte-Sponville.
Pourquoi? Parce que pour qu'une définition soit juste, il faut qu'elle soit toujours juste. Or, on peut très bien désirer ce qui ne nous manque pas. M. Comte-Sponville s'appuie sur un exemple concret : «Si je désire écouter Mozart, ce n'est pas parce qu'il me manque, c'est parce que je l'aime, ce qui est très différent», illustre-t-il.
Voilà pourquoi mieux vaut plutôt entendre le désir comme l'entendaient deux autres philosophes, Aristote et Spinoza. «Aristote disait dans De l'âme : "Il n'y a qu'un seul principe moteur, la faculté désirante". Quant à Spinoza, il affirmait que "le désir est l'essence même de l'homme". Si bien qu'on peut en déduire que le désir n'est pas manque, mais puissance», dit-il.
D'où sa propre définition du désir, comme «puissance, force, énergie». «Il est l'expression en nous du conatus, c'est-à-dire de notre puissance d'exister, d'agir et de jouir», résume-t-il. Autrement dit, c'est «notre besoin d'exister plus, la puissance d'exister le plus possible». Et d'ajouter : «Quand cette puissance est satisfaite, quand en effet nous existons davantage, nous éprouvons alors ce qu'on appelle la joie. Inversement, quand nous existons moins, nous connaissons la tristesse».
Vous voyez maintenant où je veux en venir? Eh oui, la clé du succès en matière de management est, somme toute, fort simple : c'est le désir. Lorsque M. Comte-Sponville dit que «le manager doit être avant tout un professionnel du désir», il signifie qu'il doit donner de la puissance aux membres de son équipe. La puissance d'exister plus. La puissance d'exister même le plus possible. Mieux encore, la puissance d'exister, d'agir et de jouir. Ce que l'on peut voir concrètement comme suit :
> Puissance d'exister. Le manager doit veiller à ce que chaque employé puisse exprimer le plein potentiel de ses compétences. Car il se sentira ainsi bien dans sa peau et aura le sentiment de faire œuvre utile pour l'ensemble de l'écosystème dans lequel il évolue.
> Puissance d'agir. Le manager doit veiller à ce que chaque employé puisse librement exercer ses compétences. Car cela l'aidera à se développer dans l'écosystème dans lequel il évolue.
> Puissance de jouir. Le manager doit veiller à ce que chaque employé ait du plaisir à faire ce qu'il doit faire. Car cela donnera un sens à son travail et l'incitera même à faire du bien tout autour de lui.
Et André Comte-Sponville de conclure : «Le travail n'est pas une fin en soi, c'est juste un moyen d'assouvir ses désirs». À bon entendeur, salut!
En passant, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche disait : «On en vient à aimer son désir, et non plus l'objet de son désir».
Découvrez mes précédents billets
Ma toute nouvelle page Facebook
Mon compte Twitter
Et mon livre : Le Cheval et l'Âne au bureau