JB : J’ai l’impression qu’on s’en va vers une rareté de l’information de qualité. Comme vous l’avez mentionné, il se pourrait que Postmedia disparaisse. Même si je n’ai aucune idée de ce qui va se passer dans 5 ans et dans 10 ans, j’ai l’impression qu’avec cette rareté, les gens vont décider de payer pour être informé, car ils auront le choix entre payer ou s’informer sur le Huffington Post et sur BuzzFeed. Est-ce que vous êtes fermés à l’idée d’instaurer un mur payant, quand les conditions seront propices?
GC : On a fait des études d’élasticité du prix, et ce que ça nous disait, c’est qu’on aurait aujourd’hui à peu près 30 000 abonnés. Et à 30 000 abonnés payants, notre taille serait à peu près celle du Devoir. Je ne pourrais pas soutenir une salle de nouvelles de 280 personnes avec 30 000 personnes qui payent 200 $ par année. C’est juste 6 millions de dollars. J’aime mieux aller chercher mon 80-100 millions de revenus publicitaires que d’aller chercher mon six millions de revenus de tirage. Et regarde le New York Times. As-tu déjà vu un chiffre sur leur capacité à renouveler leurs abonnés ? Moi non plus. Regarde le Globe and Mail, ils ont 100 000 abonnées avec leur mur payant, mais 85% de ces abonnés sont des abonnés papier qui bénéficient de l’abonnement numérique gratuitement. Les gens qui payent pour le numérique, ils ont le même âge que les abonnés du papier. L’âge moyen des lecteurs de journaux papier au Canada, c’est 59 ans. Et avec un mur, tu gardes le même profil d’âge. C’est ça, le drame des médias, en ce moment ; c’est leur incapacité à rejoindre les jeunes. La télé a le même problème que les journaux. Le modèle d’affaires de la télé généraliste, il est terminé. Les chaînes de télévision généralistes ont encore de l’argent, mais si elles ne transforment pas leur modèle, elles sont condamnées.
JB : J’espère que ça va fonctionner, La Presse+, mais les grandes tendances semblent aller dans le sens inverse.
GC : Ce sont de grandes tendances, mais la question de base, c’est de se demander combien ces gens-là vont aller chercher de parts de marché. Est-ce qu’ils vont aller chercher 100% ? Moi, je pense que 100%, ça n’existe pas. Il n’y a jamais eu un seul média qui a été cherché 100%. Et il y a des modes, dans la vie. Moi, la seule chose que je veux, la seule chose que je souhaite, c’est de rester le plus performant possible dans le pourcentage qui reste. Pour compétitionner de l’autre côté, je ne sais pas comment tu peux faire ça. Je ne sais pas comment tu peux faire vivre une entreprise qui a des dépenses de 80-85 millions avec un CPM de quelques dollars.
JB : J’ai toujours l’impression que votre modèle va à contre-courant. Les lecteurs ont tendance à consulter plusieurs sources et c’est sans parler de l’importance grandissante des médias sociaux et des téléphones mobiles, dont tient peu compte le modèle de La Presse+. Cela dit, les médias qui s’accrochent à leur modèle d’affaires traditionnel, et qui gèrent la décroissance, ils s’en vont aussi dans le mur. Et pas mal tous les journaux appartiennent à cette catégorie.
GC : En coupant autant dans leur salle de nouvelles, les journaux ne protègent pas leur core business. Je ne dis pas que notre solution, avec La Presse+, c’est écoeurant et que tout le monde devrait nous imiter. Mais c’est une solution qui est bien adaptée à notre réalité, et elle nous permet de maintenir une salle de nouvelles, et de produire des contenus de qualité qui nous permet d’aller chercher un temps de consultation de 40 minutes par jour en semaine. Et cette attention nous permet d’aller voir les annonceurs et de leur facturer des tarifs plus élevés.