La capacité de différer la gratification. Ou comme le disent les Américains, «short-term pain for long-term gain» que je traduirais par «endurer la souffrance à court terme pour profiter à long terme». De fait, c’est un peu la même devise qui est affichée à l’entrée de nos bureaux de St-Bruno: «Bien gérer maintenant pour profiter demain».
Ce concept de gratification différée n’est pas nouveau, peu s’en faut. Il m’est toutefois revenu à l’esprit récemment et en y réfléchissant, je me rends compte qu’il est à la base de tout succès, quel que soit le domaine d’activité.
Voici quelques exemples qui me viennent en tête:
- Économiser. Notre économie est peut-être fondée sur la consommation, mais la qualité de vie dont nous bénéficierons une fois à la retraite est directement liée à notre capacité de différer la consommation afin d’investir.
- Étudier ou apprendre. Nos jeunes aimeraient tous jouer aux jeux vidéo plutôt qu’étudier.
- Investir dans sa santé. Marcher au lieu de prendre sa voiture… Aller courir plutôt que regarder la télé… Se limiter à un seul verre de rouge par jour… Aller au gym… Voilà des sacrifices qui nous coûtent peut-être à court terme, mais qui devraient nous assurer une meilleure santé dans 10 ou 20 ans.
- L’entraînement. Les jeunes qui s’entraînent dans un sport (ou qui pratiquent un instrument de musique) de manière intensive font des sacrifices énormes à court terme pour la possibilité d’exceller à long terme.
Les bons dirigeants comprennent très bien l’importance d’investir aujourd’hui pour améliorer la rentabilité de leur entreprise à long terme. Pourtant, la plupart du temps, de tels investissements réduisent la rentabilité de l’entreprise à court terme… La majorité des politiciens tentent de tirer avantage du fait que les électeurs préfèrent les «cadeaux» immédiats aux politiques favorables à long terme.
Êtes-vous de ceux qui font régulièrement des sacrifices? Ou êtes-vous plutôt du genre à dire «Bof, qu’est-ce que ça donne? Autant profiter de la vie aujourd’hui, qui sait ce qui arrivera demain?»
Je crois que cette capacité de différer la gratification est essentielle pour réussir en Bourse. Non seulement pour la nécessité d’économiser et d’investir en Bourse, mais aussi d’y persévérer à long terme, à travers ses inévitables corrections et ses périodes de grande incertitude. De fait, le choix d’investir en Bourse plutôt qu’en obligations ou en certificats de dépôt implique aussi de différer une gratification: on prend la chance que la Bourse puisse subir une correction à court terme afin de tirer profit de ses rendements supérieurs à long terme. Investir dans des obligations est peut-être l’équivalent de prendre une deuxième part de gâteau – un réconfort immédiat en dépit de l’impact négatif sur sa santé (financière) à long terme!
La capacité de différer la gratification explique peut-être pourquoi certains investisseurs boursiers sont capables de traverser les crises financières sans tout vendre. Et pourquoi les véritables champions en ce domaine vont jusqu’à acheter aux moments de grande nervosité. N’est-ce pas un bon exemple d’être capable de souffrir à court terme pour profiter de gains à long terme… «short-term pain for long-term gain»?
Peut-être aussi l’incapacité de plusieurs investisseurs à retarder la gratification les force-t-ils à transiger constamment? Ils cherchent ainsi le profit rapide même s’ils savent très bien que la meilleure chose à faire est de ne rien faire.
Au-delà des connaissances de base nécessaires pour réussir en Bourse, il faut surtout avoir le bon tempérament. À mon avis, ceux qui sont capables de régulièrement différer la gratification dans le but d’améliorer leur sort à long terme ont ce tempérament.
Philippe Le Blanc, MBA, CFA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuille. Il est également éditeur de la Lettre financière par COTE 100, publiée mensuellement depuis 1988.