«C’est là l’un des points les plus complexes que j’aborde dans mon livre», avertit l’auteur. Tout le monde a conscience que le futur est fondamentalement imprévisible, sans trop savoir pourquoi. L’explication vient du fait qu’un événement présent ne prend tout son sens qu’a posteriori. Tenez, au moment même où il se produit, personne ne sait qu’elle est son importance réelle : vous assistez à un accident de voitures, et ça vous paraît majeur sur le coup, mais il se révèle qu’il n’y a pas de blessé et que les journaux n’en parlent même pas le lendemain, et il devient rapidement insignifiant à vos yeux; inversement, vous roulez à côté d’une voiture dans le fossé, les secours sont déjà là, et 5 minutes après vous l’avez oublié, et pourtant, vous apprenez le lendemain que cette voiture était conduite par une célébrité et qu’elle en est morte.
Autrement dit, nous avons besoin de distance pour apprécier la valeur d’une information ou d’un événement. Et cette distance n’existe pas pour faire la moindre prévision, voire prédiction. «Il s’agit plutôt de prophéties, alors», ironise M. Watts, qui rejoint ici la théorie du Cygne Noir concocté par Nassim Nicholas Taleb. Ce dernier considère que nous surestimons la valeur des explications rationnelles faites a posteriori des événements passés et que nous sous-estimons l’importance – pourtant majeure – de l’inexplicable, de l’aléatoire dans les données issues du passé. Dès lors, toute prévision du futur et projections de probabilités apparaissent, à ses yeux, comme une «supercherie», et ne font qu’accroître l’impact des événements imprévisibles quand ils se produisent. Pour lui, le passé ne peut pas servir à prédire naïvement le futur.
M. Taleb sait de quoi il parle. Ce Libano-Américain est surnommé «le dissident de Wall Street» dans les milieux financiers, ayant agi pendant une vingtaine d’années comme courtier en Bourse à New York et à Londres, alors spécialisé dans le risque lié aux événements rares et imprévus. Il est actuellement professeur en ingénierie du risque a l'Institut Polytechnique de la New York University.