«On ne peut échafauder de plans lorsqu’on nourrit des arrière-pensées, ni asseoir sa puissance lorsqu’on est déchiré entre des objectifs divers. On doit harmoniser le dedans pour pouvoir gouverner le dehors ; on doit régler l’entourage immédiat pour pouvoir pacifier les contrées lointaines.
«Qui embrasse l’univers et fatigue son esprit en le laissant vagabonder aux huit confins de l’espace ne parvient pas à bien s’occuper de sa famille ; en revanche, qui renforce son souffle, parfait sa nature, affine son esprit et son essence afin de prolonger sa vie ne se laisse pas asservir par le monde extérieur. Ceux qui détiennent des terres et ont le peuple sous leur protection ne doivent surtout pas songer à engranger des profits, car sitôt que le prince veille avant tout à sa fortune, l’éducation et la culture cessent de se diffuser, et les ordres, d’être obéis.
«Su Qin et Zhang Yi jouissaient de charges prestigieuses et en avaient retiré une grande célébrité. Ministres de six principautés, ils servaient six princes à la fois et leur prestige faisait trembler l’Est des Passes. Ils parcouraient l’empire pour convaincre les seigneurs, variant leurs discours et leurs plans selon les pays et les interlocuteurs. Ils se proposaient de venir à bout d’un État puissant par une union de pays faibles. Tenants de l’alliance horizontale, ils s’opposaient à l’alliance verticale, mais en réalité leur politique était fluctuante et leurs critères, flous. En sorte qu’ils ne purent mener à bien leur entreprise et durent l’abandonner à mi-chemin. Ils moururent de la main de la populace, au milieu des rires. Tout cela parce qu’ils tenaient un double langage et s’étaient laissé guider par leurs désirs et leurs appétits.
«Quant à lui, Zhong, le premier ministre du duc Huan de Qi, foula au pied sa première allégeance pour servir ce prince de toute son âme. Il ne contracta pas d’alliances à des fins personnelles, ni ne nourrit de visées retorses ; il se dédia entièrement à sa tâche, qui consistait à diriger au mieux la principauté ; il accompagna partout son prince et fit plier les autres seigneurs ; il imposa son autorité à l’intérieur des Quatre Mers et diffusa l’influence civilisatrice de son prince sur l’ensemble du pays ; châtiant ceux qui s’écartaient de la Voie, conférant la gloire à ceux qui respectaient la Justice.
«Il lui suffit d’une seule campagne pour se faire obéir de l’empire, et d’un seul train de mesures administratives pour amener les seigneurs à la résipiscence. L’homme de bien s’en tient à un unique principe de gouvernement pour passer ses sujets au cordeau, il se sert d’une seule aune pour étalonner la multitude de ses peuples. De la sorte, il impose partout un ordre unique et fait rayonner le gouvernement centralisé.
«C’est ainsi que le ciel est Un et accomplit à la perfection ses révolutions ; c’est ainsi que l’homme est Un et se conforme parfaitement à ses devoirs moraux.