«Le monde est plein d'esprits chagrins et furieux qui se plaignent de l'état du monde. Pas étonnant qu'il prenne une allure chagrine. Tout le monde se chagrinant du chagrin existant, un vent de chagrin se met à souffler comme une tempête. On a alors des raisons d'être chagrin.
«Misérables raisons en vérité, la cause du chagrin régnant n'étant autre que nous-mêmes. Seulement, nous ne le voyons pas. Trop empressés que nous sommes de nous dire et de dire, à qui veut l'entendre, que les autres sont responsables du climat haïssable enveloppant le cours des choses.
«Le monde n'est pas mauvais. Nous le rendons tel, quand nous pestons contre lui. La colère du monde n'a pas d'autre origine que la colère contre le monde. L'histoire d'Œdipe en est l'illustration.
«Alors que Thèbes est accablée par la peste, il «peste» si l'on peut dire et cherche un coupable. Il le peut. Roi fraîchement couronné, il a des gardes qu'il peut dépêcher. Sauf qu'il ignore une chose que Tirésias le devin va lui apprendre : le coupable qu'il cherche n'est autre que lui-même. Il a fait entrer la peste dans le monde en «pestant» contre un vieillard trop lent à se ranger sur le bas-côté de la route, quand il se rendait à Thèbes.
«Insultes. Bousculades. Coups. Mort. La vie bascule vite dans la fatalité, quand on est en colère. En un instant, tout peut se briser. Quand c'est le cas, une autre loi se met à régir le monde. Celle de la violence, qui emporte tout sur son passage.
«C'est ce que symbolise la peste de Thèbes. Quand un roi peste, tout le monde peste. Ce que l'on peut vérifier. Il arrive que quelqu'un de mauvaise humeur mette tout le monde de mauvaise humeur. Il est facile de provoquer la mauvaise humeur d'autrui. Il suffit d'être de mauvaise humeur. Le ton monte vite quand les bonnes intentions que l'on peut avoir son fraîchement accueillies. La mauvaise humeur devient alors communicative. (...)