Un tournant est survenu en 2002, avec la signature d'un accord de paix entre le gouvernement d'Alvaro Uribe et les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), le principal groupe paramilitaire. Cet accord a été suivi d'un appel au désarmement généralisé, lancé par l'État. Du coup, 52 419 rebelles ont officiellement déposé les armes et réintégré la société, entre 2002 et 2010.
Ce sont justement ces personnes-là qui intéressaient les deux chercheurs. Ils voulaient savoir comment s'était déroulé pour eux le retour à la vie civile, et notamment savoir s'ils avaient retrouvé confiance en l'État, qui était auparavant leur pire ennemi. Ils ont procédé pour cela le plus simplement du monde : ils ont demandé à 1 485 ex-combattants – choisis au hasard – de répondre à un questionnaire détaillé à ce sujet.
Résultats? Quatre découvertes passionnantes :
> Vaines opérations de charme. Il n'y a aucune corrélation entre les aides de l'État à l'insertion dans la société et la confiance que les ex-combattants ont dans l'État. Autrement dit, ce n'est pas parce que l'État fait des efforts ciblés pour aider les ex-combattants à retrouver une vie civile normale que ceux-ci vont lui redonner leur confiance. Bref, les opérations de charme n'ont aucune utilité.
> Vains espoirs de reconnaissance. Il n'y a pas non plus de corrélation entre l'appréciation du niveau de vie des ex-combattants et la confiance que ceux-ci accordent à l'État. Ce n'est pas parce qu'ils retrouvent un métier dans leurs cordes et un salaire correct qu'ils changent d'opinion.
> Les résultats, les résultats, les résultats. En revanche, les ex-combattants sont très sensibles aux bons résultats enregistrés par l'État, peu importe le domaine dans lequel cela se produit (économie, lutte contre la corruption, etc.). Ce qui les séduit, ce sont des mesures couronnées de succès. Des mesures concrètes qui – soulignons-le – ne les concernent pas en premier lieu.
> Une page tournée toute seule. Par ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait croire a priori, plus les ex-combattants continuent d'être en relation entre eux, plus ils retrouvent confiance en l'État. On aurait pu s'imaginer que le fait de se voir entre eux régulièrement entretiendrait la haine de l'ennemi, mais ce n'est pas du tout ce qui se produit, bien au contraire. Se revoir souvent entre anciens n'empêche pas de tourner la page, ça le favorise. Par conséquent, rien ne sert de chercher à briser l'opinion des ex-combattants – en l'occurrence, le lien social qui est supposé entretenir la flamme de la rébellion –, car celle-ci évoluera d'elle-même, toute seule.