BLOGUE. Imaginons une chose quasiment incroyable : votre boss ne vous aime pas. (Je plaisante, je sais que ça arrive beaucoup plus souvent qu'on ne croit.) Du moins, il ne vous porte pas dans son cœur, c'est-à-dire que s'il pouvait, il se passerait volontiers de vos services, mais comme il n'a rien de sérieux à vous reprocher – en fait, c'est peut-être juste votre visage et votre attitude qui ne lui plaît pas –, eh bien, il tente à longueur de journée de vous voir le moins souvent possible.
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Et imaginons encore que vous ayez en tête un projet fabuleux et que vous voulez mener à bien, contre vents et marées. Disons-le carrément, en dépit de l'opposition farouche de votre boss, laquelle découle du seul fait que vous en êtes à l'origine. Vous n'avez dès lors pas d'autre choix que d'obtenir son feu vert, et donc de convaincre une personne hostile de vous faire confiance
Mission: Impossible? Pas du tout! C'est ce que j'ai appris dans une étude intitulée Trusting the enemy: Confidence in the State among ex-combatants, signée par deux étudiants en science politique : Enzo Nussio, de l'Université des Andes à Bogota (Colombie), et Ben Oppenheim, de Berkeley (États-Unis). Ceux-ci se sont penchés sur l'Histoire récente de la Colombie, pour se demander comment il se faisait que des soldats des forces de guérilla opposées au gouvernement en place ont fini par accepter d'être démobilisées, et même par redonner leur confiance en l'État qu'ils avaient pourtant combattu à mort des années durant.
Pour mieux saisir de quoi il s'agit, il convient de faire un petit retour en arrière… La Colombie était jusqu'à peu secouée depuis les années 1960 par une guerre civile atrocement meurtrière. Des mouvements de guérilla marxistes ont été les premiers à prendre les armes contre l'État. Dans les années 1980, des groupes paramilitaires ont vue le jour, se donnant pour mission d'éradiquer les forces marxistes du pays, sous le prétexte que l'État n'y parvenait pas.
Un tournant est survenu en 2002, avec la signature d'un accord de paix entre le gouvernement d'Alvaro Uribe et les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), le principal groupe paramilitaire. Cet accord a été suivi d'un appel au désarmement généralisé, lancé par l'État. Du coup, 52 419 rebelles ont officiellement déposé les armes et réintégré la société, entre 2002 et 2010.
Ce sont justement ces personnes-là qui intéressaient les deux chercheurs. Ils voulaient savoir comment s'était déroulé pour eux le retour à la vie civile, et notamment savoir s'ils avaient retrouvé confiance en l'État, qui était auparavant leur pire ennemi. Ils ont procédé pour cela le plus simplement du monde : ils ont demandé à 1 485 ex-combattants – choisis au hasard – de répondre à un questionnaire détaillé à ce sujet.
Résultats? Quatre découvertes passionnantes :
> Vaines opérations de charme. Il n'y a aucune corrélation entre les aides de l'État à l'insertion dans la société et la confiance que les ex-combattants ont dans l'État. Autrement dit, ce n'est pas parce que l'État fait des efforts ciblés pour aider les ex-combattants à retrouver une vie civile normale que ceux-ci vont lui redonner leur confiance. Bref, les opérations de charme n'ont aucune utilité.
> Vains espoirs de reconnaissance. Il n'y a pas non plus de corrélation entre l'appréciation du niveau de vie des ex-combattants et la confiance que ceux-ci accordent à l'État. Ce n'est pas parce qu'ils retrouvent un métier dans leurs cordes et un salaire correct qu'ils changent d'opinion.
> Les résultats, les résultats, les résultats. En revanche, les ex-combattants sont très sensibles aux bons résultats enregistrés par l'État, peu importe le domaine dans lequel cela se produit (économie, lutte contre la corruption, etc.). Ce qui les séduit, ce sont des mesures couronnées de succès. Des mesures concrètes qui – soulignons-le – ne les concernent pas en premier lieu.
> Une page tournée toute seule. Par ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait croire a priori, plus les ex-combattants continuent d'être en relation entre eux, plus ils retrouvent confiance en l'État. On aurait pu s'imaginer que le fait de se voir entre eux régulièrement entretiendrait la haine de l'ennemi, mais ce n'est pas du tout ce qui se produit, bien au contraire. Se revoir souvent entre anciens n'empêche pas de tourner la page, ça le favorise. Par conséquent, rien ne sert de chercher à briser l'opinion des ex-combattants – en l'occurrence, le lien social qui est supposé entretenir la flamme de la rébellion –, car celle-ci évoluera d'elle-même, toute seule.
Que retenir de tout ça, pour ceux qui souhaitent déjouer l'hostilité de leur boss? Trois conseils pratiques :
> Haro sur les opérations de charme. Ne tentez pas de le séduire, d'une manière ou d'une autre, car c'est vain. Cela ne changera en rien l'opinion qu'il a de vous. Son hostilité ne changera pas d'un iota.
> Feignez l'indifférence. Votre boss vous est hostile, et il sait que vous le savez. Pas besoin d'en rajouter, ou pis, de chercher à le convaincre par des arguments raisonnables qu'il se trompe à votre égard. Car ce ne sont jamais vos arguments qui l'en persuaderont.
> Brillez par votre performance. Sans chercher à plaire à votre boss, prenez en mains un dossier important et menez-le à bon port avec brio. Puis, récidivez. Sans jamais lui signaler ou lui rappeler tous ces bons coups (il en a déjà parfaitement conscience). Cela l'amènera progressivement à revoir par lui-même l'opinion qu'il a de vous. Deux ou trois prouesses de votre part devraient finir par l'amener à vous accorder – enfin! – sa confiance, au moment où vous lui présenterez ce fameux projet que vous avez en tête.
Voilà. C'est aussi simple que ça. Maintenant, à vous de jouer.
En passant, le poète latin Horace aimait à dire : «Qui a confiance en soi conduit les autres».
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