Quelle est la fonction sociale de ce système financier alambiqué ? Que de ressources monopolisées pour de piètres résultats: le gaspillage des meilleurs talents, des rémunérations astronomiques alimentant une cupidité omniprésente et galopante, l’encensement de la spéculation, la fracture du tissu industriel, la dévastation de l’économie réelle.
Au cœur de l’invraisemblable crise financière de 2008, dont les effets perdurent, se dissimule le modèle « idéal », le modèle américain, de l’entreprise. Ce nouveau modèle s’est façonné au cours des trente dernières années alors que le capitalisme managérial d’antan se métamorphosait en un capitalisme financier, un capitalisme de casino.
En 2008, ce modèle d’entreprise était devenu la norme dans les pays « développés » : reposant sur le principe « d’une action, un vote », cotée en Bourse, « propriété » d’un grand nombre de fonds de placement aux objectifs de rendement souvent à court terme, d’ « actionnaires » éphémères et spéculatifs, gouvernés par des administrateurs « indépendants », gérés par des dirigeants richement rémunérés, en grande partie par des options sur le titre de l’entreprise, pour servir exclusivement ces nouveaux « actionnaires ».
Quand les banques d’affaires (les Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Lehman Brothers, Morgan Stanley, Bear Stearns) se transforment de sociétés de professionnels en sociétés cotées en bourse du modèle décrit ci-haut, quand les « sentinelles des marchés » que sont, ou devraient être, les Bourses et les agences de notation de crédit adoptent pour elles-mêmes ce modèle de sociétés cotées en Bourse, alors la déconfiture du système est assurée.
Subrepticement nos économies, celle des États-Unis au premier chef, ont été poussées vers une forme de capitalisme dans lequel les marchés financiers dominent, font la loi et imposent leur volonté aux gouvernements et aux entreprises. Cette évolution néfaste est la cause fondamentale des crises et fiascos financiers à répétition depuis une vingtaine d’années. Une réforme du système s’impose pour remettre la finance à la place modeste qui devrait être la sienne et ramener dans toutes les entreprises, financières et industrielles, une gestion pour le long terme ainsi qu’un certain niveau de loyauté, de confiance mutuelle et de solidarité, vertus essentielles au bon fonctionnement de toute organisation humaine.
(Les propos de M. Allaire n'engagent pas l'IGOPP ni son conseil d'administration).
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Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme.