Puis, notre mesure s’avérerait beaucoup plus efficace dans les situations de tentatives de prise de contrôle dites «hostiles». En effet, dès qu’une telle manœuvre est rendue publique, une forte proportion (souvent de l’ordre de 40%) des actions passe aux mains de fonds d’arbitrage et de fonds de couverture. Même avec un seul vote, par comparaison à certains autres actionnaires qui en détiendraient deux, ces fonds auraient une grande capacité d’influencer le résultat.
Les salariés au conseil
- Le Rapport Gallois affirme : un équilibre des points de vue plus favorable au long terme au sein des conseils d’administration ou conseils de surveillance des entreprises d’une certaine taille (entreprises de plus de 5 000 salariés) serait assuré par la présence, au-delà des actionnaires et du management, d’au moins 4 représentants des salariés (sans dépasser le tiers des membres).
La France rejoindrait ainsi la douzaine de pays européens qui exigent une présence des salariés dans les organes de gestion.
Une telle mesure, même sur une base volontaire, est rarissime chez les entreprises nord-américaines cotées en Bourse. Le modèle de gouvernance selon lequel les membres du conseil sont élus par les seuls actionnaires fait en sorte que cette question de représentation de parties prenantes autres que l’actionnaire n’est jamais soulevée.
Or, force est de constater que la loi canadienne et la loi québécoise sur les sociétés par actions ainsi que les jugements de la Cour suprême du Canada, à deux reprises, déclarent que le conseil doit agir dans l’intérêt de la société, ne favorisant aucune partie prenante au détriment d’une autre.
La Cour suprême s’exprime ainsi à ce sujet : «Ils (les administrateurs) ont en tout temps leur obligation fiduciaire envers la société, et les intérêts de la société ne doivent pas se confondre avec ceux des actionnaires, avec ceux des créanciers ni avec ceux de toute autre partie intéressée.» (Peoples c. Wise, 2004)
La question reste en suspens: les administrateurs élus exclusivement par les actionnaires peuvent-ils défendre l’intérêt de la société, sans un parti pris pour les actionnaires qui les ont élus? Peuvent-ils agir en tout temps de façon à ce que les intérêts de la société ne doivent pas se confondre avec ceux des actionnaires, avec ceux des créanciers ni avec ceux de toute autre partie intéressée?
Notre système de gouvernance repose sur le pari que la réponse à cette question est affirmative. Si on venait à en douter, la revendication d’une représentation au conseil d’au moins une autre partie prenante, les salariés, prendrait du décibel.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme.