Larry Page, les yeux en l'air, a alors réfléchi à voix haute. «Auparavant, 90% des gens étaient fermiers. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout le cas. Une telle mutation du travail est donc déjà survenue. Il ne serait pas surprenant que cela se produise à nouveau, autrement», a-t-il dit.
Le hic, c'est que cette mutation d'un monde agricole en un monde industriel s'est étalée en Occident sur des décennies, non sans heurts. Et que celle que nous connaissons, vers un monde technologique, se produit en moins de temps que cela, à l'échelle d'années seulement. La mutation se déroule en vitesse accélérée. Si vite même qu'on peine à suivre le rythme.
Le PDG de Google de poursuivre : «Je pense vraiment que nous vivons une période d'abondance, comme le décrit Peter Diamandis dans son livre [Abundance: The future is better than you think; Free Press, 2012]. En conséquence, satisfaire nos besoins fondamentaux – se nourrir, se loger, se sentir en sécurité, permettre à ses enfants de se développer – nécessite de notre part de moins en moins de ressources. Cela n'accapare donc que peu de notre temps de travail. Je dirais même que cela ne représente peut-être qu'en général 1% de notre temps de travail, en Occident.
«C'est pourquoi l'idée que nous avons besoin de travailler fort et longtemps pour satisfaire nos besoins fondamentaux n'est plus vraie. L'ennui, c'est que nous avons du mal à le réaliser. Car s'ajoute à cela un phénomène particulier : notre besoin de nous accomplir par le travail, de sentir qu'on est utile à quelque chose, voire à autrui. Pour le comprendre, il suffit de voir à quel point les chômeurs se sentent "inutiles"…
«Cette idée viscéralement ancrée en nous de devoir travailler fort et longtemps nous amène, aujourd'hui, à en faire trop. C'est comme ça, par exemple, que nous bousillons avec acharnement l'environnement. À force de travailler toujours de plus en plus, nous nous nuisons à nous-même et à notre écosystème.