Google. Il suffit de prononcer ce nom pour qu'une multitude de merveilles nous viennent à l'esprit : le moteur de recherche dont on se sert plusieurs fois par jour, les cartes détaillées qui nous permettent de circuler n'importe où sur la planète, la plus grande bibliothèque du monde, le logiciel utilisé par la plupart des cellulaires, etc. Sans parler des fuites à propos de Google X, le laboratoire secret dirigé par Sergueï Brin, l'un des deux fondateurs de Google avec Larry Page : les cerveaux les plus brillants de la multinationale y planchent, entre autres, sur des lunettes à réalité augmentée, sur des voitures qui se conduisent elles-mêmes et sur un robot doté d'une intelligence artificielle aux capacités phénoménales. Bref, Google façonne le monde de demain, et ça fait rêver.
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Google. Ce nom est auréolé de tant de mystères qu'il est devenu précieux, pour ne pas dire inestimable, d'avoir le moindre détail fiable de ce qui s'y passe exactement. Et donc, de savoir ce que ses deux têtes dirigeantes pensent aujourd'hui.
La bonne nouvelle du jour, c'est que MM. Page et Brin ont récemment accordé une entrevue ensemble. Une rareté. Une rareté que je partage intégralement avec vous, grâce à une vidéo diffusée sur YouTube.
Cerise sur le gâteau : les deux cofondateurs de Google ont répondu à une question fascinante pour qui se pique de management. Vinod Khosla, un capital-risqueur considéré comme l'un des plus influents de la Silicon Valley, leur a en effet demandé si les progrès technologiques à venir ne risquaient pas de nuire à l'emploi, de manière globale. De fait, on peut se dire que si des robots intelligents se mettent à faire mieux et plus vite des tâches qu'accomplissent actuellement les êtres humains, ces derniers risquent, du coup, de perdre leur travail.
Larry Page, les yeux en l'air, a alors réfléchi à voix haute. «Auparavant, 90% des gens étaient fermiers. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout le cas. Une telle mutation du travail est donc déjà survenue. Il ne serait pas surprenant que cela se produise à nouveau, autrement», a-t-il dit.
Le hic, c'est que cette mutation d'un monde agricole en un monde industriel s'est étalée en Occident sur des décennies, non sans heurts. Et que celle que nous connaissons, vers un monde technologique, se produit en moins de temps que cela, à l'échelle d'années seulement. La mutation se déroule en vitesse accélérée. Si vite même qu'on peine à suivre le rythme.
Le PDG de Google de poursuivre : «Je pense vraiment que nous vivons une période d'abondance, comme le décrit Peter Diamandis dans son livre [Abundance: The future is better than you think; Free Press, 2012]. En conséquence, satisfaire nos besoins fondamentaux – se nourrir, se loger, se sentir en sécurité, permettre à ses enfants de se développer – nécessite de notre part de moins en moins de ressources. Cela n'accapare donc que peu de notre temps de travail. Je dirais même que cela ne représente peut-être qu'en général 1% de notre temps de travail, en Occident.
«C'est pourquoi l'idée que nous avons besoin de travailler fort et longtemps pour satisfaire nos besoins fondamentaux n'est plus vraie. L'ennui, c'est que nous avons du mal à le réaliser. Car s'ajoute à cela un phénomène particulier : notre besoin de nous accomplir par le travail, de sentir qu'on est utile à quelque chose, voire à autrui. Pour le comprendre, il suffit de voir à quel point les chômeurs se sentent "inutiles"…
«Cette idée viscéralement ancrée en nous de devoir travailler fort et longtemps nous amène, aujourd'hui, à en faire trop. C'est comme ça, par exemple, que nous bousillons avec acharnement l'environnement. À force de travailler toujours de plus en plus, nous nous nuisons à nous-même et à notre écosystème.
«Ça me préoccupe beaucoup. Ça finira mal, si on ne change pas de mentalité. Je suis tellement inquiet qu'il m'arrive d'en parler avec d'autres. Un exemple : Richard Branson [le PDG de Virgin]. Il m'a confié que le chômage était tel en Grande-Bretagne qu'il avait décidé de ne plus offrir systématiquement d'emplois à temps plein, mais plutôt à temps partiel. L'idée est de partager le travail. Chaque nouveau poste est scindé en deux, si bien que des jeunes, au lieu de ne pas avoir de travail du tout, se retrouvent au moins avec un mi-temps. Et ce, pour un coût à peine plus élevé pour l'employeur.»
Larry Page a illustré son propos : «Pour voir leur réaction, il m'est arrivé de proposer à différentes personnes une semaine de congé supplémentaire. C'est simple, 100% des gens m'ont dit que ça les intéresserait. Même chose quand je leur proposais deux semaines de vacances supplémentaires, ou de faire des semaines de 4 jours : tout le monde était d'accord.
«Si chacun acceptait de réduire son temps de travail, dans l'optique de le partager avec d'autres. Si cela se faisait de manière réfléchie et coordonnée. Alors je pense qu'on pourrait s'attaquer efficacement à la pandémie de chômage qui sévit à l'échelle de la planète.
«Pour ce faire, il faudrait miser sur le fait que, bien entendu, les gens aiment travailler, mais qu'ils adorent avoir du temps à eux, du temps qu'ils peuvent consacrer à leur famille ou à leurs hobbies. Ce serait un bon moyen de s'y prendre, je pense.»
Et de souligner, comme s'il pensait pour lui-même : «Oui, réduire la semaine de travail, ce serait une bonne piste à explorer.»
Sergueï Brin, qui écoutait attentivement, a tenu à apporter une nuance : «Histoire de challenger ce que vient de dire Larry, je ne pense pas qu'un tel changement puisse se produire à court terme. Parce que le besoin global en travail ne va pas aller en déclinant, mais juste se transférer d'une sphère d'activités à d'autres. C'est que les gens vont avoir de nouveaux besoins à satisfaire, qui vont nécessiter de plus en plus de travail, notamment en matière de divertissement.»
Ce à quoi Larry Page a rétorqué : «Nous évoluons en effet dans un écosystème imparfait, où les changements ne sont pas aussi efficients que ce qu'ils pourraient être. Nombre d'études économiques le montrent, d'ailleurs. Néanmoins, se lancer dans un tel changement pourrait produire des effets positifs qu'on ne soupçonne même pas. Qui sait?»
Voilà. Cet échange passionnant s'est terminé en beauté, par un point d'interrogation, par une ouverture encourageante vers un futur meilleur. À l'image des rêves que ne cessent de susciter Google.
Qu'en pensez-vous? Serait-il pertinent d'approfondir cette idée de partage du travail à une échelle généralisée? Par exemple, à l'échelle d'une équipe? D'une entreprise? D'une industrie? N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires, car cela pourrait se traduire – qui sait? – par un article sur le sujet dans le journal Les affaires, cet été…
En passant, la femme de lettres française Félicité de Genlis a dit dans Les mères rivales : «On ne jouit bien que de ce qu'on partage».
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