Les trois chercheurs ont noté qu'il y avait pléthore d'études sur les habitudes de consommation des Américains, c'est-à-dire dans des conditions d'abondance - il suffit de regarder la diversité des boîtes de céréales en magasin pour le réaliser. Et qu'en revanche, il fallait vraiment chercher pour en trouver sur des consommateurs en situation d'indigence.
Comment nous comportons-nous lorsque nous manquons de tout, ou presque? En particulier lorsqu'on a connu l'abondance auparavant? Voilà ce qui les intéressait. D'où leur idée d'aller enquêter en ce sens dans un endroit réputé pour ses privations, notamment en matière de biens et de services, soit une prison à sécurité maximale.
C'est que là, très peu de biens et de services sont mis à la disposition des prisonniers. Et que ces derniers n'ont accès qu'à très peu d'argent : ceux qui travaillent gagnent en général entre 19 et 42 cents de l'heure. Voilà pourquoi, lorsqu'ils veulent à tout prix acquérir un bien ou un service particulier, il leur faut soit contourner le système carcéral et d'user de moyens illicites pour se procurer les biens et services qu'ils souhaitent, soit - et tel est tout le sel de cette étude, je peux d'ores et déjà vous le dire - recourir au système D.
Ainsi, Mme Rapp et MM. Hill et Capella ont consacré 18 mois de leur temps à rencontrer des prisonniers placés sous surveillance maximale, histoire d'analyser le fonctionnement de l'économie en milieu carcéral. Ils ont réussi le tour de force d'obtenir leur confiance, au point de se faire confier comment chacun s'y prenait vraiment pour obtenir les biens et services qu'il voulait, en dépit de toutes les restrictions imposées.
Résultat? Le voici :
> Le troc pousse à l'acquisition de nouvelles compétences. Si l'on regarde simplement l'économie officielle du milieu carcéral, les prisonniers gagnent tout juste de quoi s'offrir, de temps à autres, des friandises, comme des barres chocolatées hypercaloriques. Et ça s'arrête là. Par conséquent, cette économie-là ne permet pas de répondre aux véritables besoins de consommation des détenus. Leur astuce pour pallier cette déficience? Le troc.
«Chacun se sert de ses compétences propres pour obtenir, en échange, autre chose d'autrui. Par exemple, celui qui sait coiffer peut obtenir en échange d'une coiffe un médicament qu'un autre possède. Il arrive qu'un bien, comme les cigarettes, serve de monnaie, mais le recours au troc est toujours privilégié», indiquent les trois chercheurs dans leur étude.
Et de poursuivre : «Un enjeu crucial est donc l'acquisition de nouvelles compétences. Certains apprennent à cuisiner de bons petits plats, avec des aliments glanés ici et là de manière plus ou moins licite. D'autres encore deviennent des tatoueurs très prisés, leur art étant on ne peut plus prisé des autres détenus».