Faire plus avec moins au travail. Soyons honnêtes, nous en rêvons tous - de l'employé, qui aimerait bien être plus efficace pour passer moins de temps au bureau, au boss, qui adorerait recourir à moins de ressources pour atteindre un meilleur résultat. Pas vrai?
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Mais voilà, les plus sceptiques me diront qu'il y a un pas de géant entre le rêve et la réalité, à ce sujet. Et je leur aurais probablement donné raison dans la plupart des cas, si je n'avais mis au jour un moyen ultrasimple d'y parvenir. Si, si...
Ce moyen est tiré d'une étude qui semble pourtant loin du sujet. Intitulée Consumption restriction in a total control institution: Participatory action research in a maximum security prison, elle est signée par trois professeurs de marketing : Justine Rapp, de l'Université de San Diego (États-Unis), ainsi que Ronald Paul Hill et Michael Capella, tous deux de l'École de commerce Villanova à Exton (États-Unis). Et elle porte sur - tenez-vous bien! - le comportement de criminels enfermés dans une prison à sécurité maximale aux États-Unis en matière d'achats de biens et de services. Bref, sur l'attitude des prisonniers en tant que consommateurs.
L'intérêt d'une telle étude pour qui se pique de management? Vous allez voir, et être - comme moi, je pense - renversés...
Les trois chercheurs ont noté qu'il y avait pléthore d'études sur les habitudes de consommation des Américains, c'est-à-dire dans des conditions d'abondance - il suffit de regarder la diversité des boîtes de céréales en magasin pour le réaliser. Et qu'en revanche, il fallait vraiment chercher pour en trouver sur des consommateurs en situation d'indigence.
Comment nous comportons-nous lorsque nous manquons de tout, ou presque? En particulier lorsqu'on a connu l'abondance auparavant? Voilà ce qui les intéressait. D'où leur idée d'aller enquêter en ce sens dans un endroit réputé pour ses privations, notamment en matière de biens et de services, soit une prison à sécurité maximale.
C'est que là, très peu de biens et de services sont mis à la disposition des prisonniers. Et que ces derniers n'ont accès qu'à très peu d'argent : ceux qui travaillent gagnent en général entre 19 et 42 cents de l'heure. Voilà pourquoi, lorsqu'ils veulent à tout prix acquérir un bien ou un service particulier, il leur faut soit contourner le système carcéral et d'user de moyens illicites pour se procurer les biens et services qu'ils souhaitent, soit - et tel est tout le sel de cette étude, je peux d'ores et déjà vous le dire - recourir au système D.
Ainsi, Mme Rapp et MM. Hill et Capella ont consacré 18 mois de leur temps à rencontrer des prisonniers placés sous surveillance maximale, histoire d'analyser le fonctionnement de l'économie en milieu carcéral. Ils ont réussi le tour de force d'obtenir leur confiance, au point de se faire confier comment chacun s'y prenait vraiment pour obtenir les biens et services qu'il voulait, en dépit de toutes les restrictions imposées.
Résultat? Le voici :
> Le troc pousse à l'acquisition de nouvelles compétences. Si l'on regarde simplement l'économie officielle du milieu carcéral, les prisonniers gagnent tout juste de quoi s'offrir, de temps à autres, des friandises, comme des barres chocolatées hypercaloriques. Et ça s'arrête là. Par conséquent, cette économie-là ne permet pas de répondre aux véritables besoins de consommation des détenus. Leur astuce pour pallier cette déficience? Le troc.
«Chacun se sert de ses compétences propres pour obtenir, en échange, autre chose d'autrui. Par exemple, celui qui sait coiffer peut obtenir en échange d'une coiffe un médicament qu'un autre possède. Il arrive qu'un bien, comme les cigarettes, serve de monnaie, mais le recours au troc est toujours privilégié», indiquent les trois chercheurs dans leur étude.
Et de poursuivre : «Un enjeu crucial est donc l'acquisition de nouvelles compétences. Certains apprennent à cuisiner de bons petits plats, avec des aliments glanés ici et là de manière plus ou moins licite. D'autres encore deviennent des tatoueurs très prisés, leur art étant on ne peut plus prisé des autres détenus».
Autrement dit, le réflexe des prisonniers est dès lors de rivaliser de créativité et d'ingéniosité en matière d'entreprenariat, dans l'optique d'offrir aux autres un service ou un bien incontournable. «Ce qui présente l'avantage, de surcroît, de favoriser l'intégration des uns et des autres au sein de la communauté des prisonniers, et par suite, la cohésion de cette même communauté», précisent-ils.
Un résultat que l'on peut résumer d'un seul mot : adaptation. Oui, les détenus s'adaptent à la situation, aussi pénible à vivre soit-elle. L'un d'eux rêve d'une coupe dotée d'une pointe d'originalité? Le service carcéral ne le lui offre pas, mais ce n'est pas si grave que ça, il va s'arranger pour que le prisonnier le plus doué en la matière lui offre ce service, en échange, par exemple, d'un plat de porc à l'ananas. Etc.
On le voit bien, l'indigence incite à la créativité. Et c'est là que je voulais en venir. Trop souvent, au travail, nous nous plaignons de ne pas avoir les ressources nécessaires pour innover, ou même pour ne serait-ce qu'atteindre les objectifs visés. Et nous nous lamentons, à longueur de journée, jusqu'au moment - inélucable - où l'on finit par frapper un mur.
Or, cette attitude correspond justement au refus de s'adapter. Au refus de voir la réalité en face, tant elle nous paraît a priori triste et désespérante. Au refus, bref, de retrousser nos manches et d'affonter la réalité de tout notre corps et de toute notre âme.
Comment pourrions-nous donc remédier à cette fâcheuse tendance que nous avons de refuser de nous adapter à la situation lorsque celle-ci nous semble déplaisante? Comment faire plus avec moins? Comme suit, je pense :
> Qui entend faire plus avec moins se doit de... se priver davantage! Il lui faut couper davantage de ressources que celles dont ils disposent, surtout s'il considère que celles-ci ne sont pas suffisantes. Pourquoi? Parce qu'il se placera ainsi, croira-t-il, en situation de danger extrême, et se mettra, en vérité, en situation de comprendre qu'il dispose d'un bien on ne peut plus précieux : l'impératif d'innover. De recourir au système D. D'user de toute son intelligence pour s'en sortir avec brio.
En passant, le poète italien Arturo Graf disait : «Plus l'homme possède, moins il se possède».
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