La question est de savoir pourquoi ce genre de service est alors devenu si populaire. Deux dates de l'Histoire de la Sicile sont à retenir à cet égard selon les quatre chercheurs italiens : 1812, avec l'abolition des privilèges féodaux, qui s'est traduite par l'émergence d'une bourgeoisie de plus en plus puissante ; et 1861, avec l'annexion de la Sicile au Royaume d'Italie, qui s'est assortie d'un délitement du pouvoir des autorités locales. Ces deux événements ont incité chacun à prendre en mains ses propres affaires, au besoin en contournant les lois en vigueur. Par exemple, les terres réservées autrefois aux pauvres par le système féodal ont alors été l'objet de toutes les convoitises, les riches se les disputant les uns les autres par l'intermédiaire de gros bras, autrement dit des fameux "hommes d'honneur". La tentation était d'autant plus forte que les autorités pouvant s'opposer à de telles pratiques n'étaient plus celles implantées sur place, mais celles établies dans la botte italienne, à des milliers de kilomètres de là.
Autre élément déclencheur, toujours d'après les quatre chercheurs : le soufre. Durant tout le 19e siècle et le début du 20e siècle, la Sicile était en effet le plus grand producteur du monde de soufre : en 1893, l'île fournissait 83% de tout ce qui était utilisé sur la planète. Il faut savoir que le cristal jaune était à l'époque d'une importance économique capitale, car il servait, entre autres, à la fabrication de la poudre à canon, de médicaments et d'acides. C'est bien simple, sans lui, quantité d'industries et d'usines n'auraient pu fonctionner, en particulier en France et en Grande-Bretagne, qui accaparaient à elles seules 70% des exportations de soufre de la Sicile.
Or, le plus grand flou régnait à l'époque quant à la propriété des terres, notamment celles dotées de mines de soufre, si bien qu'il fallait s'assurer d'une sécurité maximale pour demeurer la propriétaire de celles-ci. De surcroît, toute la production de soufre, qui était concentrée dans le centre de l'île, surtout aux alentours de Catanissetta et d'Enna, devait être transportée jusqu'aux ports internationaux, en particulier celui de Palerme : il fallait, là aussi, veiller à ce que la sécurité soit maximale jusqu'au chargement dans les cargos. Bref, impossible de ne pas faire appel aux services des "hommes d'honneur".
Les quatre chercheurs ont voulu vérifier leur hypothèse selon laquelle la mafia s'est développée en Sicile pour les raisons politiques et économiques évoquées ci-dessus. Pour ce faire, ils ont comparé l'évolution de différentes municipalités siciliennes : celles où le pouvoir de la mafia a crû rapidement et celles où il a progressé moins vite, ainsi que celles qui bénéficiaient de l'industrie du soufre et celles qui n'en bénéficiaient pas. Puis, ils ont regardé si ces données étaient corrélées, ou pas, c'est-à-dire si l'évolution de l'une d'entre elles influençait directement, ou pas, celle d'une autre.