Ce scénario me fait penser à un classique de la littérature française, Rhinocéros d’Eugène Ionesco. Au début, les personnages de la pièce de théâtre hallucinent en découvrant des rhinocéros qui passent à toute allure dans la rue. Ils n’en reviennent pas et s’interrogent sur «ce qui ne devrait pas exister». Puis, ils comprennent qu’il s’agit d’être humains qui se transforment en cette sorte d’animal bête et féroce. Comment réagir face à cet étrange phénomène, mais pourtant bien réel? Eh bien, les uns après les autres, les personnages se transforment en rhinocéros : Botard se laisse convaincre par un beau discours, une épouse se métamorphose par amour pour son mari («Je ne peux pas le laisser comme ça»), etc. Quant au héros, Bérenger, il hésite longuement avant de décider de ne pas capituler : «Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout! Je ne capitule pas!». La pièce s’achève sur ces mots.
On le voit bien, Soumission comme Rhinocéros posent une question fondamentale : «Qu’est-ce qui fait que l’on se soumet aussi aisément?». Autrement dit, comment se fait-il que nous abdiquions si facilement notre libre arbitre, en particulier aux moments cruciaux où nous devrions justement rester droits dans nos bottes?
Michel Houellebecq l’explique comme suit… «C’est la soumission, dit doucement Rediger. L’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. C’est une idée que j’hésiterais à exposer devant mes coreligionaires, qu’ils jugeraient peut-être blasphématoire, mais il y a pour moi un rapport entre l’absolue soumission de la femme à l’homme, telle que la décrit Histoire d’O, et la soumission de l’homme à Dieu, telle que l’envisage l’islam.
«Voyez-vous, poursuivit-il, l’islam accepte le monde, et il l’accepte dans son intégralité, il accepte le monde tel quel, pour parler comme Nietzsche. Le point de vue du bouddhisme est que le monde est dukkha - inadéquation, souffrance. Le christianisme lui-même manifeste de sérieuses réserves - Satan n’est-il pas qualifié de “Prince de ce monde”? Pour l’islam au contraire la création divine est parfaite, c’est un chef-d’oeuvre absolu. Qu’est-ce que le Coran au fond, sinon un immense poème mystique de louange?»
Ainsi, nous acceptons de nous soumettre, c’est-à-dire de nous priver de toute ou partie de notre liberté, parce que c’est un moyen simple de tutoyer le bonheur! Parce que la liberté, au fond, est un fardeau dont nous nous faisons un plaisir, à l’occasion, de nous délivrer. Faire des choix, c’est certes exprimer notre liberté, mais c’est aussi quelque chose d’usant, d’éprouvant, d’exténuant. Faire des choix, surtout des choix cruciaux, cela peut-être paralysant, pour ne pas dire terrorisant. Du coup, nous n’hésitons pas longtemps à confier la responsabilité de ces choix-là à autrui, quitte à ce que celui-ci soit un petit, ou même un grand, tyran.