Le souvenir est encore net. Ma mère était affairée à laver notre linge lorsque je lui ai demandé: «M’man, combien on a de millions?» C’était ma première question au sujet de l’argent. J’avais six ans.
Mon père était avocat. Je n’avais aucune idée de ce que faisait un avocat, mais le paternel avait toujours une épaisse liasse d’argent dans les poches et une grosse voiture avec des sièges électriques. Il achetait les fusils à pétard à la caisse pour fournir tous les gamins du quartier.
«On l’sait beeeen, ton père est millionaaaaire», disait la p’tite voisine qui habitait à trois coins de rue. Je pense qu’elle s’appelait Josée.
Alors, «M’man, combien de millions?»
«Mais voyons, on n’en a pas un…»
Ouch! J’ai été ébranlé par la réponse de ma mère pendant des jours, mais cela m’a permis d’être initié à un âge précoce à la notion d’échelle sociale. Je venais d’en tomber et ça faisait mal.
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Je n’ai pas reparlé d’argent avec mes parents, sinon pour leur en quémander jusqu’à ce que je devienne indépendant. Malgré la désillusion qui m’a frappé à six ans, l’idée que mes parents étaient une source d’argent intarissable a persisté longtemps… Jusqu’à la faillite personnelle de mon père en fait, plus d’une quinzaine d’années plus tard.
Dans ces circonstances, cela relève du miracle que j’aie pu développer une «sensibilité» financière et une relation relativement saine avec l’argent. Et encore, je ne suis pas un exemple. Une conseillère budgétaire aurait beaucoup à redire sur la gestion de mes liquidités.
À la décharge de mes chers parents, l’éducation financière n’était pas un sujet à la mode dans les maisonnées de l’époque. On se contentait de nous faire compter des pièces de monnaie en papier à l’école. Aujourd’hui, c’est autre chose. Avec la capacité de crédit dont on nous équipe au passage à l'âge adulte et l’endettement qui en découle, on se demande comment semer chez les jeunes une graine de responsabilité financière.
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