Le souvenir est encore net. Ma mère était affairée à laver notre linge lorsque je lui ai demandé: «M’man, combien on a de millions?» C’était ma première question au sujet de l’argent. J’avais six ans.
Mon père était avocat. Je n’avais aucune idée de ce que faisait un avocat, mais le paternel avait toujours une épaisse liasse d’argent dans les poches et une grosse voiture avec des sièges électriques. Il achetait les fusils à pétard à la caisse pour fournir tous les gamins du quartier.
«On l’sait beeeen, ton père est millionaaaaire», disait la p’tite voisine qui habitait à trois coins de rue. Je pense qu’elle s’appelait Josée.
Alors, «M’man, combien de millions?»
«Mais voyons, on n’en a pas un…»
Ouch! J’ai été ébranlé par la réponse de ma mère pendant des jours, mais cela m’a permis d’être initié à un âge précoce à la notion d’échelle sociale. Je venais d’en tomber et ça faisait mal.
Suivez-moi sur Twitter
Pour lire mes billets précédents
Je n’ai pas reparlé d’argent avec mes parents, sinon pour leur en quémander jusqu’à ce que je devienne indépendant. Malgré la désillusion qui m’a frappé à six ans, l’idée que mes parents étaient une source d’argent intarissable a persisté longtemps… Jusqu’à la faillite personnelle de mon père en fait, plus d’une quinzaine d’années plus tard.
Dans ces circonstances, cela relève du miracle que j’aie pu développer une «sensibilité» financière et une relation relativement saine avec l’argent. Et encore, je ne suis pas un exemple. Une conseillère budgétaire aurait beaucoup à redire sur la gestion de mes liquidités.
À la décharge de mes chers parents, l’éducation financière n’était pas un sujet à la mode dans les maisonnées de l’époque. On se contentait de nous faire compter des pièces de monnaie en papier à l’école. Aujourd’hui, c’est autre chose. Avec la capacité de crédit dont on nous équipe au passage à l'âge adulte et l’endettement qui en découle, on se demande comment semer chez les jeunes une graine de responsabilité financière.
Oseriez-vous dévoiler votre salaire à vos enfants ?
Oseriez-vous dévoiler votre salaire à vos enfants ?
On recommande désormais aux parents de démystifier la question auprès de leurs enfants le plus tôt possible. Bien que les gamins reconnaissent très jeunes le pouvoir qui est rattaché à l’argent, celui-ci demeure pour eux une notion abstraite. C’est un peu comme le côté obscur de la force : c’est fascinant, mais ça fait un peu peur. D’où l’importance de le rattacher à des choses concrètes.
Pour illustrer la chose, j’ai trouvé cette histoire rapportée par le New York Times où l’on raconte comment un papa californien a pris les grands moyens pour inculquer à sa marmaille la valeur de l’argent. Il est allé à la banque et a retiré l’équivalent de sa paie mensuelle en petites coupures: 10 000 billets d’un dollar (un bon salaire, on s’entend, ce qui n’enlève rien au mérite de son initiative). Il a fait des piles de 100 dollars et a expliqué à quoi est dédié cet argent. Ces piles-là pour payer la maison, celles-ci pour régler les frais de scolarité, ces billets pour les cours de musique, etc. À la fin il n’en restait pas tant que ça. On remarquera ici que le père a dévoilé son salaire. En feriez-vous autant?
Il n’est peut-être pas nécessaire de débarquer à la maison avec sa paie d’un mois en pièces d’un dollar, auquel cas il faudrait un monte-charge et un camion pour les transporter. Mais à une époque où l’argent tend à se dématérialiser avec le paiement électronique, ça m’apparaît en effet une bonne idée de ramener l’argent sur le plancher des vaches en compagnie de sa jeune progéniture. Meuh! Comment feriez-vous ça, vous?
D’ailleurs, il s’agirait là de l’intervention la plus déterminante que puissent envisager les parents pour favoriser la santé financière future de leurs enfants: concrétiser et désacraliser l’argent le plus tôt possible. Je vous dis ça, car attendre à leur adolescence pour leur apprendre à tenir un budget, leur expliquer l’effet de l’inflation et leur démontrer la magie de l’intérêt composé n’aurait pas d’impact sur la manière dont ils gèreront leur argent dans l’avenir.
Selon des études rapportées par Wall Street Journal, l’éducation financière auprès des jeunes ne serait pas efficace. Faut-il s’en surprendre, qui s’intéresse à ça à l’adolescence? Si je m’offusque parfois du fait qu’on ait évacué ces questions de l’école, c’est plus par principe. Cela me donne l’impression qu’on ne trouve pas ça important. Mais dans les faits, la solution serait ailleurs.
Selon les mêmes études citées par le Wall Street Journal, l’école peut être bénéfique en matière de finances personnelles, mais par un chemin détourné : les maths. De nombreuses décisions financières sont plus faciles à prendre lorsqu’on maîtrise les chiffres et qu’on est en mesure de faire des comparaisons dans l’univers des nombres. C’est logique.
Si c’est bien le cas, il serait peut-être utile de revoir nos stratégies en matière d’éducation financière. Qu'en pensez-vous?
Suivez-moi sur Twitter
Pour lire mes billets précédents