Édifices à bureaux : turbulences à l'horizon


Édition du 21 Novembre 2015

Édifices à bureaux : turbulences à l'horizon


Édition du 21 Novembre 2015

Par Matthieu Charest

Dans un marché en mutation, la localisation demeure un critère essentiel pour les promoteurs d’espaces à bureaux qui veulent attirer des locataires, comme dans le projet L’Avenue, de Broccolini, situé à proximité immédiate du centre-ville de Montre

Le taux d'inoccupation du marché du bureau atteint des sommets à Montréal. Un pic qui devrait continuer à s'élever au cours des prochaines années. Or, si les données indiquent une zone de turbulences importante pour ce marché, elles ne dévoilent pas toute l'histoire. Avantageux pour les locataires et propice aux investissements pour les promoteurs, le marché montréalais recèle plusieurs occasions. S'il est tumultueux, ce marché est loin de l'écrasement. Il est plutôt en train de s'acclimater aux nouvelles réalités du marché du travail.

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Des données peu reluisantes

Les études de marché fourmillent de statistiques peu reluisantes pour Montréal. Au dernier trimestre de 2014, le taux d'inoccupation combiné pour les immeubles de classe A et B était de 8,6 % à Montréal, nettement supérieur au taux de 6,63 % qui prévalait pour l'ensemble du Canada, selon la firme de service-conseil en immobilier Newmark Knight Frank Devencore. Dans les grandes villes du pays, seule Halifax (10,3 %) affichait un taux d'inoccupation supérieur à Montréal. Bien qu'inférieur au taux montréalais, le taux d'inoccupation canadien a inquiété le Conference Board du Canada. Dans un rapport dévoilé en octobre dernier, l'organisation a qualifié le marché du bureau national de «saturé», où «la surabondance [est] croissante».

«C'est très élevé, confirme Alexandre Sieber, vice-président et directeur général chez CBRE, une firme internationale de conseil en immobilier. [Les taux] sont plus élevés que notre moyenne historique et plus élevés qu'après la dernière récession. Mais nous ne sommes pas alarmistes. Cette tendance haussière, nous l'observons partout.»

Un marché saturé ?

Une tendance qui «devrait se poursuivre», estime un rapport publié par Colliers International, autre firme de service-conseil immobilier. Le document révèle aussi que le taux d'absorption est négatif : près de 670 000 pi2 n'ont pas trouvé preneur au troisième trimestre de 2015 dans la région de Montréal. Selon Colliers, le taux d'inoccupation était alors de 8,2 %, une nette hausse depuis le deuxième trimestre de 2015, alors qu'il était de 6,7 %. Quant au taux de disponibilité, qui comprend les espaces occupés mais disponibles pour la location ou la sous-location, il est nettement supérieur, à 16 %. Bien sûr, les statistiques varient d'une firme à l'autre, puisqu'elles n'utilisent pas le même échantillon pour poser des diagnostics. L'important, c'est que tout s'oriente vers la même direction : le haut. Ce qui n'est pas près de changer.

À la fin de septembre, Colliers a évalué que 5,8 millions de pieds carrés étaient disponibles dans la région métropolitaine, soit 3,3 M pi2 au centre-ville et 2,5 M pi2 en banlieue.

Un chiffre qui devrait s'accroître en raison de tous les nouveaux projets (terminés ou en construction), comme la Tour Aimia de Kevric, L'Avenue de Broccolini et la Maison Manuvie d'Ivanhoé Cambridge, pour ne nommer que ceux-là.

Par ailleurs, la conversion de nombreux espaces industriels devrait également contribuer significativement à l'ajout de locaux pour bureaux dans la région. «Ce sont près de 6 M pi2 de superficie industrielle qui ont été convertis en bureaux au cours des huit dernières années, rapporte Alexandre Sieber. En tout, d'ici 2017, il s'ajoutera 1,7 M pi2 de superficie pour bureaux à Montréal.»

De la place en périphérie

Dans un marché en mutation, la localisation demeure un critère essentiel pour les promoteurs d’espaces à bureaux qui veulent attirer des locataires, comme dans les projets District Griffin de Devimco, situé à proximité immédiate du centre-ville de

Ce qui fait dire à Serge Goulet, le président de Devimco, «que de "faire du bureau" au centre-ville, c'est se tirer dans le pied. Avec le taux de vacance historique, dès qu'un locataire intéressant est sur le marché, beaucoup de propriétaires sont intéressés. Le nombre de personnes qui soumissionnent pour l'obtenir est hallucinant ! Ce qui se loue présentement ne justifie pas la construction de nouveaux bâtiments».

Selon le président de Devimco, connue entre autres pour les projets O'Nessy, District Griffin et le Quartier Dix30, «il y a toutefois de la place en périphérie de Montréal. Avec le nouveau pont Champlain et le SLR [système de transport léger sur rail], Brossard sera le point chaud de la Rive-Sud. Avec tous les problèmes de circulation, quand les employés habitent à côté, cela augmente la rétention du personnel, leur qualité de vie. Puisque la densité en banlieue est moindre, que les constructions sont moins hautes et que les terrains sont plus abordables, le loyer est forcément moins élevé».

Pourtant, «plusieurs gros joueurs croient encore au marché du bureau à Montréal, souligne Stéphanie Lincourt, première directrice au cabinet d'expert-comptable Richter, également spécialisé en immobilier. Même si la valeur de leur portefeuille est restée relativement stable au cours des 2 ou 3 dernières années, ils ont pris beaucoup de valeur en 10 ans».

Loyers en baisse

Les propriétaires gestionnaires «en profitent maintenant pour rénover leurs locaux lors des mouvements de locataires. Pour attirer ces derniers, les locateurs utilisent des stratégies, comme refaire le système de ventilation, rendre les locaux plus attrayants ou plus écoénergétiques». Les taux d'intérêt ne sont vraiment pas élevés, ajoute Mme Lincourt en sous-entendant que le moment est propice pour investir. D'autant que les locataires ont le pouvoir de négocier.

En parallèle, les loyers diminuent. Selon Colliers International, le prix au pied carré pour le grand Montréal est passé de 17,20 $ à 17,11 $ du deuxième au troisième trimestre de 2015. Au centre-ville durant la même période, le prix est passé de 21,56 $ à 19,39 $, une chute de près de 10 %.

Cependant, «il y a toujours de la place pour de bons projets bien situés, soutient Roger Plamondon, vice-président principal, développement immobilier et acquisitions chez Broccolini, qui est en pleine construction de L'Avenue, une tour multiusage au centre-ville. Peu importe l'état du marché. Le fameux dicton "localisation, localisation, localisation" est toujours vrai. Il s'agit encore d'acheter au bon moment. Nous avons une vision à long terme. Nous observons les tendances, les projets d'infrastructures ou de transport en commun. Ça nous permet de savoir quels emplacements, une fois développés ou redéveloppés, seront recherchés».

Les vraies victimes

En entrevue avec Les Affaires, le président de Kevric, qui est notamment derrière la Place Bonaventure et la Tour Aimia, ne montre aucun signe d'inquiétude quant à l'état du marché montréalais, bien au contraire. «Ceux qui devraient être inquiets, ce sont les propriétaires d'immeubles plus vieux, croit Richard Hylands. On constate un mouvement vers les immeubles plus récents, surtout ceux qui sont certifiés LEED. Les locataires préfèrent payer un loyer net de qualité et économiser des frais d'exploitation. Nous sommes loin de faire des "ventes de feu".»

Quant aux propriétaires de bâtiments plus vieux, «ils devront investir massivement pour les mettre à niveau», pense-t-il. À l'instar de Kevric qui a complètement réaménagé la Place Bonaventure. «Mais souvent, les immeubles plus vieux ne sont pas conçus pour s'adapter facilement aux nouvelles réalités. Auparavant, tout était pensé pour offrir 200 pi2 par employé ; maintenant c'est plutôt 100 pi2.»

Les propriétaires-gestionnaires s'adaptent

Le travail a changé, explique Alexandre Sieber. «Les employeurs cherchent à optimiser l'espace, puisque les employés passent en moyenne 50 % de leur temps à l'extérieur de leur bureau pour rencontrer des clients, se déplacer, assister à des conférences, etc. Par conséquent, les superficies louées diminuent.» C'est précisément pour cette raison que la firme Deloitte, par exemple, a réduit la superficie qu'elle occupe dans la nouvelle tour qui porte son nom. Une réduction d'environ 25 000 pi2.

«Les nouveaux travailleurs ont des attentes complètement différentes, estime M. Hylands. Ils ne veulent pas travailler en vase clos, ils ne veulent pas de fermeture [des lieux physiques]. C'est vraiment intéressant. Ça crée de nouveaux besoins quant à l'aménagement.»

Par ailleurs, «il faut se montrer beaucoup plus flexible avec les locataires, souligne Roger Plamondon. Ils sont exigeants pour ce qui est des loyers, ils demandent des périodes sans loyer plus longues et des améliorations locatives plus importantes. La réponse du propriétaire variera en fonction de la qualité du locataire».

Pour attirer les locataires, les propriétaires gestionnaires doivent tenir compte des attentes des employés de leurs clients. L'idée, c'est de donner tous les arguments nécessaires à leurs locataires, des employeurs, afin qu'ils puissent attirer et retenir la main-d'oeuvre spécialisée qui se raréfie. «Les Y [la génération du millénaire] les plus vieux sont entrés sur le marché du travail il y a environ 10 ans, observe Stéphanie Lincourt. Depuis, nous voyons vraiment un changement de paradigme. Ils veulent plus qu'un équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Il faut que l'expérience de travail soit plus enrichissante.»

Des vestiaires aux stationnements pour vélos, des espaces communs lumineux à la proximité du domicile, «ces tendances-là iront en s'accélérant. Le recrutement des employés est devenu hautement compétitif, et la stratégie immobilière est partie prenante du pouvoir d'attraction», plaide M. Sieber.

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