Colabor est encore affamée

Publié le 09/04/2011 à 00:00, mis à jour le 26/04/2011 à 16:20

Colabor est encore affamée

Publié le 09/04/2011 à 00:00, mis à jour le 26/04/2011 à 16:20

Par Marie-Claude Morin

Le distributeur alimentaire de Boucherville vient de réaliser quatre acquisitions depuis septembre. Insatiable, son pdg Gilles C. Lachance n'entend pas s'arrêter là. Dans sa mire : le centre de l'assiette et l'Ouest canadien. Une stratégie audacieuse qui comporte une bonne dose de défis.

Gilles Lachance frétille le matin de sa rencontre avec Les Affaires. La veille, Groupe Colabor annonçait l'acquisition de l'ontarienne Skor Food Group pour 35,6 millions de dollars (M$). Même après une quatrième transaction depuis septembre, le pdg est encore en appétit.

« Dans la vie, on a le choix de consolider le marché ou d'être consolidé. On a choisi de consolider », explique celui qui dirige l'entreprise depuis plus de 20 ans. Grossiste et distributeur de produits alimentaires, Colabor vend environ 40 000 produits à plus d'une soixantaine de distributeurs, dont certains lui appartiennent. Ces distributeurs vendent à leur tour à de petites épiceries ou à des dépanneurs. L'entreprise oeuvre aussi dans les services alimentaires, notamment en Ontario, où elle approvisionne des restaurants et des institutions comme les hôpitaux.

L'Ouest canadien, la viande, les fruits et légumes : Gilles Lachance compte bien poursuivre son offensive pour élargir les marchés géographiques et la gamme de produits de Colabor. Sans compter qu'il n'entend pas laisser dormir la clause de premier refus dont il jouit sur la soixantaine de distributeurs membres du Québec et des Maritimes.

Pourtant, on pourrait croire qu'il souhaiterait digérer les récentes acquisitions. En septembre 2010, Colabor a acheté RTD Distribution, un distributeur affilié de Rimouski, pour un prix estimé à 23 M$ par la Financière Banque Nationale. Avec ses 2 500 clients et 50 camions, RTD générera des synergies avec Bertrand, la division de Québec et Chicoutimi de Colabor, ainsi qu'avec l'entrepôt principal de Boucherville, dit M. Lachance. Pour s'en assurer, le pdg a d'ailleurs donné la responsabilité de RTD au responsable de Bertrand en janvier. Depuis, les choses vont bon train, entre autres grâce à une renégociation de la convention collective des employés de Québec, qui permettra d'optimiser les livraisons.

En février dernier, Colabor a allongé 44 M$ pour mettre la main sur Les Pêcheries Norref, le plus important importateur et distributeur de poissons et fruits de mer frais du Québec. Les marchés ont salué cette percée dans ce que l'industrie appelle le « centre de l'assiette », surtout parce que les marges bénéficiaires y sont plus élevées que dans les activités existantes de Colabor : de 5,5 à 6,0 % de bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) par rapport à un peu plus de 4,0 %. De plus, Colabor accroîtra les ventes de Norref - 113 M$ par an au 31 juillet 2010, dont 40 % auprès de Sobey's - en offrant du poisson à l'ensemble de ses clients.

Un mois plus tard, l'entreprise de Boucherville a racheté un autre de ses distributeurs affiliés, au Nouveau-Brunswick cette fois. De taille modeste avec ses 25 M$ de ventes annuelles et son prix payé estimé à 7,6 M$ par Scotia Capitaux, Edfrex représente un atout géographique aux yeux de Gilles Lachance. « Ça nous fait entrer au Nouveau-Brunswick, où nous n'étions pas présents, et ça nous permettra de consolider un peu avec RTD », dit le pdg. Celui-ci a fait passer Colabor de coopérative (créée en 1962) à société à capital fermé (en 2000), puis en fiducie de revenu (en 2005) et finalement en société par actions cotée en Bourse (en 2009).

Dans le cas de l'achat de Skor Food Group, annoncé le 22 mars, Colabor courtisait les deux principaux actionnaires de l'entreprise ontarienne depuis deux ans. Une occasion de consolidation pour Colabor, déjà présente dans la province avec sa division Summit, achetée en 2006. Tout comme Summit, Skor se spécialise dans les services alimentaires, c'est-à-dire qu'elle vend aux restaurants et aux institutions. « Nos deux concurrents principaux [Sysco et Gordon] ont chacun environ 30 % du marché ontarien, alors que nous n'avions que 10 ou 12 % », explique M. Lachance.

Stop ou encore ?

Ambitieux, le pdg de Colabor croit son équipe de direction suffisamment habituée aux intégrations pour continuer d'absorber d'autres proies. « Ce n'est pas fini », dit-il. Tant le conseil d'administration que le marché s'attendent d'ailleurs à ce que l'entreprise poursuive sur sa lancée.

« Oui, il faut prendre le temps de digérer, mais les entreprises achetées sont petites et la direction semble bien les connaître », juge Marie-Ève Savard, gestionnaire de portefeuille chez Investissements Standard Life. Selon elle, Colabor pourra effectuer d'autres acquisitions sans que le marché ne la pénalise, tant que le prix payé est raisonnable, que le niveau d'endettement reste correct et que le dividende n'est pas à risque.

Des choix qui concordent avec le plan d'affaires

La feuille de route des dirigeants de Colabor rassure Jean-Philippe Bouchard, vice-président de Giverny Capital. « Leurs choix concordent toujours très bien avec leur plan d'affaires. » En plus, le C.A. de l'entreprise profite de la présence de Jacques Landreville et Richard Lord, des entrepreneurs qui ont multiplié les acquisitions.

L'ex-pdg d'Uni-Select et le pdg de Quincaillerie Richelieu divergent cependant d'opinion quant à la nécessité de prendre ou non une pause. Selon M. Landreville, Colabor devra intégrer ses récentes acquisitions et maximiser les synergies avant d'entreprendre une autre transaction d'envergure. Le président du conseil ne ferme toutefois pas la porte : « Il faut continuer d'étudier les occasions qui se présenteront. Par exemple, le rachat de distributeurs membres est plus facile à réaliser. »

Richard Lord estime pour sa part que l'équipe de direction saura achever les intégrations tout en faisant d'autres acquisitions. « Colabor ne peut pas laisser passer d'occasions pertinentes simplement parce qu'elle est occupée. »

C'est aussi l'avis de Leon Aghazarian, analyste à l'Industrielle Alliance, qui croit que Colabor pourrait encore effectuer des transactions substantielles.

1,08 $

Dividende versé depuis 2006 (1,02 $ en 2005 et 2006), ce qui correspond à un rendement de 8,5 %. Si le maintien du dividende est une priorité pour Gilles Lachance, le dirigeant exclut toutefois une hausse. | Source : Colabor

GILLES LACHANCE SUR...

... la relève :

« Je voudrais rester encore deux ou trois ans et prendre ma retraite par la suite. Le processus de relève est déjà en place et il y a plus d'un candidat capable de me remplacer. »

... le prix du carburant :

« C'est sûr que ça nous touche. Nous pouvons facturer un supplément à environ 60 % de notre clientèle; pour les 40 % restants, nous n'avons pas le droit ou avons une limite par contrat. »

... l'inflation alimentaire :

« L'augmentation du coût des aliments est normalement refilée à nos clients, qui la repassent aux leurs. Finalement, ça revient toujours au consommateur. »

... la récession :

« Ce n'est pas si mal dans le secteur du détail, mais c'est encore difficile dans la restauration. On a de bonnes semaines, puis de moins bonnes. On continue de travailler sur nos coûts pour être en excellente position lorsque l'économie reprendra. »

... l'attrait des États-Unis : « Ce n'est pas dans notre plan triennal. Cela serait possible, mais comme les structures ne sont pas les mêmes qu'au Canada (Colabor fait partie d'un regroupement pancanadien), il faudrait partir de plus loin. »

LE REGARD FIXÉ SUR L'OUEST CANADIEN

Gilles Lachance aimerait bonifier l'offre de viande et ajouter des fruits et légumes à la gamme de produits de Colabor. « Nous voulons être plus présents dans le centre de l'assiette, où nous sommes plus faibles actuellement. » Ces produits dégagent des marges bénéficiaires supérieures à celles des produits de base.

La croissance dans la viande pourrait se faire à l'interne ou par acquisition. « Nous pouvons investir dans notre entreprise de Québec pour qu'elle obtienne un permis fédéral ou acheter une entreprise qui en détient déjà un, la fusionner avec celle de Québec et en faire une société plus importante », explique l'homme d'affaires.

Dans les fruits et légumes, Colabor pourrait s'associer à un grossiste bien établi comme Hector Larivée, Canadawide, Premier ou Laverdure. « On est toujours en discussion. Ces gens-là, tout comme ceux dans la viande, on les connaît tous », dit le pdg, prudent de ne cibler aucune entreprise en particulier.

Côté géographique, Gilles Lachance affiche ses ambitions avec assurance : « On veut devenir un acteur national. » Pour le moment, le groupe est bien implanté de Windsor, en Ontario, aux provinces de l'Atlantique, mais reste absent dans l'ouest du pays. Or, pour décrocher des contrats avec des chaînes nationales, il faut être capable de les servir, de Vancouver à Halifax.

Par ailleurs, l'absence de Colabor dans l'Ouest se répercute au Québec et en Ontario. « Sysco et Gordon [deux sociétés américaines] font la pluie et le beau temps dans l'Ouest. Ils peuvent y facturer les prix qu'ils veulent, puis utiliser ces marges-là pour faire de la pression sur les prix dans l'Est. La journée où nous serons là-bas, ce sera une autre histoire. »

Ce n'est pas d'hier que Colabor parle de ses visées dans l'Ouest canadien. « C'est le morceau du casse-tête qui manque. Clairement, ce serait positif s'ils annonçaient une transaction en ce sens », juge Marie-Ève Savard, gestionnaire chez Standard Life.

Ce ne sera peut-être pas chose facile, Sysco et Gordon ayant déjà consolidé ce marché, Colabor devra se montrer créative. Outre l'achat de distributeurs concentrés dans les dépanneurs et les épiceries de petite surface, la conquête de l'Ouest pourrait passer par l'acquisition de distributeurs de produits ethniques ou biologiques. « Nous ajouterions des produits dans leurs entrepôts et importerions les leurs ici », dit M. Lachance.

Émission d'actions en vue ?

Pour se donner les moyens de ses ambitions, la société de Boucherville a renouvelé ses facilités de crédit le 18 mars. Elle en a profité pour négocier une augmentation potentielle de 100 M$ aux 150 M$ déjà en place et des ratios « plus accommodants suivant la conclusion d'acquisitions ». Questionné sur une éventuelle émission d'actions, M. Lachance évoque le coût élevé des actions - qui versent un dividende de 1,08 $ - et assure préférer le financement bancaire. Toutefois, certains analystes joints pour ce reportage étaient sous restriction, ce qui signifie que leur firme travaille pour l'entreprise. Planchent-ils sur une émission d'actions ? À suivre...

L'INTÉGRATION À LA SAUCE COLABOR...

- Conserver sur place les fonctions qui touchent directement les clients, comme les ventes, la prise de commandes, le contrôle du crédit, la perception des comptes clients et les opérations.

- Retenir les membres clés de l'équipe de direction. « Ce sont les gens sur place qui connaissent les clients et qui peuvent anticiper leurs besoins », indique Gilles Lachance.

- Déléguer la gestion de l'intégration à un dirigeant de la maison-mère. Il sera autonome, mais responsable des résultats.

- Communiquer avec les employés et discuter avec le syndicat. Expliquer les projets, rassurer, présenter les valeurs de l'entreprise.

- Consolider l'approvisionnement, l'informatique, les contrôles internes, les comptes à payer et certains aspects de la gestion des ressources humaines.

- Optimiser les routes de livraison.

« Les employés sont parfois inquiets lorsque nous changeons les façons de faire, mais en même temps, ils sont conscients de notre désir de construire et de la pression de la concurrence », assure le pdg.

- Pendant que le tout mijote, courtiser d'autres cibles potentielles. « Ça prend du temps avant que des entrepreneurs se décident à se retirer. Les discussions sont longues avant de conclure une transaction ! »

CV

Nom : Gilles C. Lachance

Âge : 60 ans

Parcours : Pdg de Colabor depuis 1998, Gilles Lachance a occupé des fonctions similaires à l'Auberge des Gouverneurs, en 1992 et 1993, et aux Rôtisseries St-Hubert, de 1986 à 1992. Il a aussi oeuvré comme vice-président, exploitation et commercialisation de Groupe Jean Coutu.

Formation : Il a obtenu un baccalauréat et une maîtrise en biologie, puis un MBA à l'Université de Sherbrooke.

Famille : Marié depuis 36 ans, il est l'heureux père de trois filles et grand-père de trois garçons et deux filles. La famille, encore jeune, le plus vieux des petits-enfants n'ayant que six ans, s'agrandira cet été avec l'arrivée d'une fille.

Loisirs : La pratique de sports d'hiver comme la raquette et le ski de fond à son chalet des Cantons-de-l'Est.

SIGNES VITAUX

Structure d'entreprise :

L'entreprise s'est convertie du Fonds de revenu Colabor (CLB.UN) à la société par actions Groupe Colabor (GCL) le 25 août 2009.

Valeur boursière : 280 M$

Revenus en 2010 : 1,05 G$

Bénéfice net en 2010 : 16,2 M$

Nombre d'employés : 1 400 (171 à Boucherville, 562 dans l'est du Québec, 498 en Ontario et 170 chez Norref). S'y ajouteront ceux de Skor et Edfrex.

CONSENSUS BLOOMBERG

Trois des cinq analystes sondés par Bloomberg recommandent l'achat du titre de Colabor, alors que deux d'entre eux suggèrent plutôt de le conserver. Leur cible moyenne est de 13,30 $.

« Nous croyons que les acquisitions continueront de jouer un rôle clé dans la stratégie de croissance de Colabor tandis que l'entreprise cherche à s'établir comme un acteur national. » - Vincent Perri, Valeurs mobilières Banque Laurentienne

« Nous nous attendons à ce que 2011 soit une année d'intense concurrence, ce qui continuera de mettre de la pression sur les volumes et les marges. Nous prévoyons une amélioration graduelle en 2011 et 2012. » - Mark Neville Scotia Capitaux

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