Sherry Turkle est professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston. Elle porte depuis des années un regard aiguisé de psychologue et de sociologue sur la technologie, et en particulier sur les appareils mobiles et les médias sociaux. Son credo : la technologie a un énorme impact sur notre inconscient, et par suite sur notre bien-être en général. Celle qui a été désignée comme l’une des 40 personnes de moins de 40 ans qui changent les Etats-Unis par le magazine Esquire a expliqué à New York en quoi notre relation avec la technologie est ambiguë, au point de nous forcer à redéfinir notre perception de l’intimité et de la solitude…
Ainsi, les récentes avancées technologiques nous permettent de communiquer avec plus de personnes et en moins de temps qu’auparavant. Elles facilitent indéniablement la conversation, du simple fait que des liens peuvent être noués et des discussions engagées d’un simple clic. Mais tout cela - nous l’avons tous expérimenté -, demeure superficiel. «Nous nous servons de tous ces gadgets pour que nous nous sentions ensemble, uni aux autres. Et du coup, quand nous nous trouvons en face de quelqu’un, il nous arrive au bout d’un moment d’avoir envie de sortir notre cellulaire pour consulter notre messagerie : par rapport à une avalanche de retweets et de textos, une simple conversation à deux paraît terriblement ennuyeuse», m’a-t-elle dit.
La professeure du MIT a, bien entendu, de nombreux exemples pour appuyer son propos. L’un d’eux est éclairant : un élève de secondaire lui a déjà confié qu’il se sentait bien dès qu’il commençait à rédiger un texto sur son cellulaire. «Nous avons une petite poussée de dopamine chaque fois que nous nous connectons au Web», a-t-elle souligné.
On le voit bien, c’est notre relation avec autrui qui est en train de prendre une toute nouvelle tournure. Ni plus ni moins. Les sentiments qui nous traversent lorsque l’on tape sur un clavier ne sont pas les mêmes que lorsqu’on s’adresse de vive voix à un autre être humain. Idem, dans un courriel, on échappe au regard de l’autre, on peut s’offrir le luxe d’ignorer ses émotions.