Cette marge bénéficiaire (définie comme le bénéfice avant impôt, intérêt et amortissement en pourcentage du revenu provenant du contrat) devrait être supérieure pour les contrats publics obtenus dans le cadre de collusion ou de corruption. Ces montants excédentaires seraient additionnés (et on y ajouterait 20% de pénalité) pour établir le montant du remboursement à exiger de chaque société coupable de participation à la collusion. On pourrait demander au Vérificateur général du Québec de procéder à cette estimation.
Chaque société devrait s’engager à verser ce montant au rythme maximal que lui permet sa situation financière. La société devrait également fournir une lettre de garantie ou autre forme d’assurance pour garantir le paiement éventuel de la somme due.
Meilleure gouvernance
Dès qu’une firme d’ingénieur conseil aurait fourni cette garantie ou payé la somme due, elle deviendrait éligible pour soumissionner aux appels d’offre du secteur public si elle remplit une dernière condition : pour une société qui n’est pas cotée en bourse, elle devra mettre en place un conseil d’administration composé d’une majorité de membres indépendants, dont le président du conseil.
La société devra également se doter, si ce n’est déjà fait, d’un mécanisme permettant aux employés, fournisseurs ou autres d’informer, via une tierce partie qui conservera l’anonymat de l’informateur, la société de toute manœuvre douteuse, de toute situation équivoque. Cette tierce partie fera rapport au président du conseil. La société cotée en bourse devra adopter cette dernière mesure.
Enfin, il convient de soulever une question de principe.
La gouvernance des villes et municipalités chez lesquelles ont fleuri collusion et corruption souffrait de terribles carences : des contrôles faibles ou inefficaces, un aveuglement bien commode, une absence de mesures élémentaires de supervision et de surveillance. Les villes ne portent-elles pas une part de responsabilité pour cette incurie administrative qui a favorisé et entretenu les stratagèmes de collusion? Si la réponse à cette question est affirmative, alors les villes ne devraient-elles pas assumer une part des coûts résultant de toute cette immonde affaire? Pourquoi, disons 25% du montant à rembourser ne serait-il pas imputable aux villes, laissant les firmes d’ingénierie rembourser 75% du montant estimé des dommages causés (incluant la pénalité de 20%?)
Toutefois, ce qui est clair, c’est qu’il faut agir rapidement pour clarifier les responsabilités de chacun, les dommages causés et les conditions qui permettront à l’industrie de reprendre un mode de fonctionnement normal mais grandement assaini.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.
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Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme.