Mais, ce qui est plus important et porteur pour l’avenir, le groupe de fonds institutionnels a aussi déclaré son intention de voter contre, (ou plus exactement de retenir leur appui), l’élection des administrateurs qui, en qualité de membres du comité de rémunération du conseil d’administration, avaient autorisé et approuvé cette rémunération.
Bien plus qu’un vote négatif sur une proposition de portée strictement consultative, un vote contre l’élection d’un membre de conseil comporte de lourdes conséquences et fait une mise en garde à tous les conseils d’administration.
Dans le cas de Barrick, les actionnaires ont voté massivement contre le programme de rémunération soumis à un vote consultatif, ce qui est rare. Puis quelque 25% des actionnaires votèrent même contre la réélection des membres du comité de rémunération, un taux rarement atteint. Ces résultats communiquent un message sans équivoque à la direction.
Voilà! On connaît maintenant le seuil où commence l’outrage, le seuil qu’il ne faut pas franchir en matière de rémunération de dirigeants de sociétés cotées en Bourse.
Ainsi, malgré un cas flagrant de rémunération outrancière, les administrateurs qui ont avalisé un tel niveau et une telle forme de rémunération sans explication valable furent réélus. Que serait le résultat avec un cas moins criant?
Toutefois, les grands fonds institutionnels canadiens viennent de tracer une ligne rouge sur le sol de la gouvernance; gare aux conseils d’administration de sociétés cotées qui avaliseront des programmes de rémunération injustifiés et injustifiables; les grands actionnaires seront vigilants et fin prêts à les dénoncer publiquement, à voter contre ces rémunérations ainsi que contre les administrateurs responsables de leur approbation.
Dans l’affaire Barrick Gold, certains investisseurs institutionnels canadiens ont fait montre d’un sens des responsabilités remarquable et d’un activisme de bon aloi que l’on doit souligner et encourager. Les investisseurs institutionnels devraient utiliser leur droit de voter contre l’élection de membres de conseils pour manifester leur désapprobation de cas répréhensibles qui surviennent de temps à autre.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.
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Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme.