Enfin, une dernière méditation, rien que pour le plaisir...
«13. Pourquoi des gens intelligents passent-ils leur temps à accumuler des biens au lieu de jouir de ceux qu'ils possèdent? Est-ce parce qu'ils suivent ainsi l'usage commun? Ou parce qu'il est agréable d'espérer?»
Malin, n'est-ce pas? Aristote s'est bien gardé de donner une réponse nette et tranchée. Il s'est contenté de nous lancer sur une piste, libre à nous – et donc à vous –d'en tirer une conclusion...
Voilà. En savez-vous maintenant un peu plus sur ce qui fait que nous sommes continuellement, vous comme moi, victimes de nos contradictions? Avez-vous saisi que ce qui nous fait hésiter, et parfois nous tromper, est bien souvent l'absence de déterminants? Ou plutôt, d'informations fiables permettant de trancher avec justesse?
Et que ce n'est pas tout: que notre corps pèse lourdement sur nos pensées? Oui, notre corps âgé, ou jeune. Notre corps féminin ou masculin. Notre corps obèse, ou svelte. Notre corps fatigué, ou dynamique. Bref, nos contradictions quotidiennes découlent également en partie de notre état de santé.
Par conséquent, nous nous empêtrons dans nos contradictions faute de réflexion mesurée, oui, faute de tenir compte de nous-mêmes comme élément de réflexion. Nous croyons que seules importent les données du problème qui nous préoccupe, et nous nous trompons, car nous refusons ainsi de voir la dimension humaine du problème, pour ne pas dire sa dimension personnelle.
Ce qui me fait songer à Montaigne lorsqu'il dit dans De l'expérience (3, XIII) : «Je déteste qu'on nous ordonne d'avoir l'esprit aux nues, pendant que nous avons le corps à table. Je ne veux pas que l'esprit soit cloué au corps, ni qu'il se vautre sur lui, mais je veux qu'il se tienne à lui, qu'il s'assoie et non qu'il se couche sur lui. Aristippe ne prenait la défense que du corps, comme si nous n'avions pas d'âme, et Zénon ne prenait parti que pour l'âme, comme si nous n'avions pas de corps. Tous deux avaient grand tort...»