Rien de sert donc de rejeter d’emblée la vision du monde d’autrui, parce qu’on y devine une différence qui nous effraie. Au contraire, mieux vaut écouter ce que l’autre a à dire, y réfléchir, puis discuter. Oui, mieux vaut lutter contre sa propre étroitesse d’esprit, son dogmatisme, bref, son intolérance, qui sont, à des degrés divers, des formes d’enfermement dans un schéma mental. Pour cela, il convient de tenter d’accéder à la «pluralité interprétative».
La pluralité interprétative? Il s’agit d’une notion qui ne vient pas directement du dalaï-lama, mais du thème d’un colloque qui s’est tenu à Paris en 2008, au Collège de France. C’est la capacité de «manipuler» ses propres représentations mentales et ses idées pour adopter, au moins temporairement et en imagination, d’autres points de vue que le sien. Une capacité essentielle à développer si l’on souhaite devenir un peu plus tolérant…
Alain Berthoz, professeur au Collège de France spécialisé dans la neurophysiologie, a expliqué à cette occasion-là que le cerveau humain a une propriété «remarquable et redoutable», celle de faire des hypothèses sur son environnement. «Il projette sur lui ses préperceptions, c’est-à-dire qu’il n’attend pas d’interpréter les données du monde extérieur, mais impose d’emblée ses règles d’interprétations, si bien que le monde perçu n’est jamais conforme au monde vécu», dit-il, en ajoutant qu’on peut parler ici de la «tyrannie de la perception».
Qu’est-ce que ça signifie? Grosso modo que notre vision du monde dépend entièrement de nos idées préconçues. Un exemple éclairant : si l’on impose au jeune cerveau des schémas d’interprétation du monde ou d’autrui, et qu’on l’empêche d’avoir une pluralité de points de vue, il aura tendance à préférer ces interprétations a priori; c’est comme cela que des enfants ont pu être si facilement endoctrinés par différents fanatismes religieux et politiques – jeunesses hitlériennes, enfants-soldats des Khmers rouges, etc. – et commettre des abominations difficilement imaginables (tortures et autres mutilations sans raison de compatriotes).