Malgré la toutes les qualités qu’on ne peut que reconnaître à Rue Frontenac, sa survie suite à la fin du conflit de travail au Journal de Montréal est peu probable. Non pas parce que le média mis en place par les employés en lock-out du Journal n’est pas pertinent, mais tout simplement parce que son modèle d’affaires ne tient pas la route. Malgré les espoirs légitimes de ses créateurs, dont certains ont évoqué le transfert de propriété de Rue Frontenac à une coopérative, il serait étonnant que la publication parvienne à employer une équipe de journalistes à temps plein.
En attendant le retour des 62 employés (sur 225) du Journal de Montréal au travail, le coordonnateur général de Rue Frontenac, Richard Bousquet, précise que les activités de l’organisation se poursuivront comme avant, alors que l’équipe planche sur « le plan d’affaires d’un futur Rue Frontenac indépendant ». Rappelons que l’organe d’information, lancée par le Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal (STIJM) en guise de moyen de pression en 2009, comprend le site Internet RueFrontenac.com et un journal hebdomadaire gratuit du même nom.
D’abord, penchons-nous sur le modèle d’affaires du site Internet, qui est le cœur de Rue Frontenac. Même s’il est impossible d’évaluer ses revenus avec précision, tentons de les chiffrer grossièrement. En prenant pour de l’argent comptant les statistiques révélées dans son kit média, on apprend que le site accueille quelque 400 000 visiteurs uniques par mois ce qui, au Québec, est fort respectable. En admettant que la qualité des visiteurs du site permette à RueFrontenac.com de dégager un revenu de 80$ par 1 000 visiteurs uniques par mois, une hypothèse très généreuse, le site générerait 32 000 $ de vente par mois. À ce chiffre enthousiaste, il faut retrancher la commission de plus ou moins 40 % de l’agence qui représente le site, pour ramener son revenu mensuel à 19 200 $. Ce revenu, dont on a pas déduit les frais d’hébergement, ne permettrait pas à Rue Frontenac d’employer plus de deux anciens journalistes du Journal de Montréal à leur ancien salaire. Et c'est sans compter les frais généraux d'exploitation de l'organisation.
Dans un deuxième temps, il ne sert à rien de procéder à l’analyse des revenus de l’hebdomadaire gratuit tiré à 75 000 exemplaires qu’exploite également Rue Frontenac. D’abord, le journal contient un taux publicitaire si faible qu’il ne sert à rien de démontrer qu’il est déficitaire. Pire encore, la part du lion de la publicité présente dans Rue Frontenac provient du monde syndical et, plus particulièrement, de syndicats qui, comme le STIJM, sont affiliés à la CSN. Finalement, ceux qui ne sont toujours pas convaincus devraient se rappeler de l’hebdomadaire Ici qui, malgré un investissement de quelque 10 millions de dollars de la part de Quebecor, a dû fermer ses portes en 2009, faute de rentabilité.