Beaucoup se grattaient l'occiput à la sortie de l'assemblée de Bombardier, jeudi midi. La force du vote en faveur de la politique de rémunération de la direction de Bombardier en a surpris plus d'un.
Le résultat: 93,4% en faveur de la politique, 6% contre.
Le bruit a été tel sur la place publique dans les dernières 48 heures, que l'impression générale était que le désaveu du conseil d'administration et de son président, Pierre Beaudoin, allait être total. Ce n'est pas tout à fait ce que est apparu dans les chiffres.
Vrai, les actions multivotantes de la famille sont dans le compte, ce qui vient gonfler l'écart. Mais, en les excluant, la politique de rémunération a quand même récolté 66% du vote des actions ordinaires.
Comment expliquer la chose?
Quelques facteurs, mais le premier de ceux-ci et le plus important: l'apathie des actionnaires.
Sans entrer dans le détail du calcul (que l'on sait solide), si on exclut la famille Bombardier-Beaudoin du compte, 70% des actionnaires de Bombardier n'ont tout simplement pas daigné voter. Le 66% d'approbation n'est que chez les actionnaires qui ont voté.
Quelques motifs peuvent expliquer le pointage obtenu par monsieur Beaudoin et le conseil chez le 30% qui a voté.
La Caisse de dépôt et le Fonds de solidarité n'ont fait connaître leur position que mardi, et les autres caisses institutionnelles mercredi, veille de l'assemblée. Il est probable que plusieurs détenteurs du titre avaient déjà fait parvenir leurs votes. D'autant que ISS, la plus importante firme en conseil de votation, avait, depuis plusieurs jours, recommandé de voter en faveur de la politique. La maison était critique, mais les gestionnaires de portefeuille ont souvent tendance à simplement suivre les recommandations de la firme conseil dont ils sont clients.
Il ne faudrait pas négliger non plus le poids de ceux qui pouvaient réellement être en accord avec la politique de rémunération. On l'a écrit à quelques reprises, mis à part pour monsieur Beaudoin, les bonis accordés à l'équipe de direction pouvaient se justifier sous une perspective actionnariale. Quand de nouveaux dirigeants viennent sauver une entreprise, atteignent les cibles fixées, et font doubler le titre, il est normal de les récompenser. Et cette récompense, selon Glass Lewis, arrivait dans la relative basse fourchette des pairs.
Est-ce à dire que les grands fonds de pension ont l'air fou?
Loin de là.
Ils ont réussi à obtenir que Pierre Beaudoin abandonne ses fonctions exécutives. Il reste à titre de président du conseil, mais c'est quelques millions de dollars qui seront épargné l'an prochain (il touche cette année 3,8 M$).
Avant la sortie des institutionnels, racontait-on jeudi, le conseil d'administration et monsieur Beaudoin avaient commencé à réfléchir à la possibilité qu'il abandonne son rôle exécutif. Le front commun des institutions est venu forcer la décision, et c'est en soi une victoire.
Quelle doit être la suite des choses?
La décision de monsieur Beaudoin de ne demeurer qu'à la présidence du conseil est une concession (puisqu'elle arrive plus tôt que prévu), mais c'est tout ce qu'elle est. Le geste ne vient pas régler le malaise qu'entretiennent plusieurs investisseurs institutionnels quant à la gouvernance de Bombardier.
La Caisse réitère qu'elle souhaiterait avoir un président indépendant à la tête de Bombardier. Elle trouve toujours que la représentation sur le conseil n'est pas optimale et compte trop d'éléments familiaux.
Monsieur Beaudoin a commis une erreur en acceptant un bonus pour l'exercice 2016, puisqu'il est aussi imputable du fiasco financier dans lequel s'est retrouvée l'entreprise. Ce faisant, il a donné l'impression aux autres actionnaires que le conseil est un club d'amis, qui lui ont retourné l'ascenseur pour le remercier de leur propre rémunération.
Il est en bonne partie à l'origine du débordement de cette année et du bris de confiance. Il a néanmoins choisi de rester.
Souhaitons qu'il ait appris (tout comme les autres administrateurs) et que la gouvernance de l'entreprise s'améliore dans les prochaines années.
Si sous sa gouverne les bonnes pratiques progressent, les investisseurs institutionnels devraient l'an prochain envisager de renoncer à la demande d'un président indépendant et reconduire monsieur Beaudoin dans ses fonctions.
Nous estimions personnellement aussi qu'il devait laisser la présidence, mais il y a un autre facteur à bien peser si on décide de poursuivre le bras de fer.
Laurent Beaudoin confiait il y a quelques années qu'il avait reçu à quelques reprises des offres pour Bombardier, et les avait rejetées. Évidemment, Ottawa pourrait peut-être législativement s'opposer à une vente en bloc de Bombardier en invoquant l'intérêt national. Mais il n'est pas clair que le gouvernement pourrait le faire dans un contexte de découpage en morceaux, par division.
Les investisseurs institutionnels peuvent insister discrètement verbalement, mais mieux vaut se garder d'en faire une question de principe annuelle dans l'urne. Il ne faut pas que la famille Bombardier-Beaudoin en vienne à se sentir prise dans une chasse à finir et honnie par l'intelligentsia de son actionnariat. Une poursuite idéologique du bras de fer risquerait de l'amener à des décisions qui ne prendraient plus l'impact sur le milieu en considération.
À moins d'une détérioration, songeons à enterrer la hache de guerre.
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