La guerre des semi-conducteurs fera bondir vos coûts

Publié le 20/01/2023 à 17:30

La guerre des semi-conducteurs fera bondir vos coûts

Publié le 20/01/2023 à 17:30

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine s’est amorcée sous l’administration républicaine de Donald Trump, mais elle s’est renforcée sous celle du démocrate Joe Biden. (Photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine sur les semi-conducteurs fragmente les chaînes de valeur. Résultat, les coûts de production des fabricants de puces augmentent, ce qui entraînera une hausse des prix des produits électroniques et informatiques.

L’analyste géopolitique Angelo Katsoras, de la Banque Nationale, a publié ce 17 janvier une note pertinente à ce sujet, qui s’intitule Des marchandises plus chères pour un approvisionnement plus sûr.

Cette tendance lourde tient au fait que les entreprises et les gouvernements prennent des mesures pour produire de plus en plus des biens stratégiques localement ou pour les obtenir auprès d’alliés proches — sur les plans politique et culturel.

Dans son analyse, la BN souligne deux nouvelles réalités — l’une positive, l’autre négative — avec lesquelles les entreprises canadiennes devront désormais composer:

  • Sécurité économique: les chaînes d’approvisionnement seront plus résilientes à terme.
  • Pertes d’efficacité: les coûts d’exploitation structurels augmenteront à long terme.

Pour illustrer son propos, Angelo Katsoras donne plusieurs exemples, dont celui des semi-conducteurs, qui sont au cœur de «la guerre froide économique» entre les États-Unis et la Chine.

Cette guerre commerciale s’est amorcée sous l’administration républicaine de Donald Trump, mais elle s’est renforcée sous celle du démocrate Joe Biden.

Deux éléments inquiètent au plus haut point Washington.

D’une part, que la Chine envahisse Taïwan — un État de 24 millions d’habitants que Beijing considère comme une province renégate — qui fabrique plus de 90% des semi-conducteurs les plus avancés au monde.

Un risque possible, mais peu probable, estiment des spécialistes.

 

La Chine considère Taïwan comme une province renégate, et menace de l'envahir. (Photo: Getty Images)

D’autre part, que la Chine acquiert à terme la capacité de fabriquer des puces électroniques avancées. Cela lui permettrait de faire des produits informatiques et des systèmes de défense plus sophistiqués, sans dépendre de composants étrangers.

 

Deux lois structurantes aux États-Unis

Angelo Katsoras souligne que les États-Unis ont adopté des lois afin de mieux gérer ces risques.

Dans un premier temps, le gouvernement américain a adopté en août le CHIP and Science Act.

Cette loi prévoit d’investir 52 milliards de dollars américains (70G$ CA) pour produire des semi-conducteurs aux États-Unis.

Elle impose aussi une restriction majeure aux entreprises américaines. Pendant 10 ans, celles qui reçoivent des fonds ne peuvent pas faire de nouveaux investissements dans des usines de puces avancées en Chine ni dans d’autres pays jugés à risque.

Washington affirme répondre ainsi à l’aide financière massive accordée par Beijing aux fabricants de puces chinoises.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de 2014 à 2018, l’appui du gouvernement a représenté au moins 30% des revenus des deux principaux fabricants de semi-conducteurs chinois, soit Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC) et Tsinghua UniGroup.

Dans un deuxième temps, l’administration Biden a promulgué une nouvelle loi en octobre qui interdit à la fois d’exporter en Chine des puces et des équipements sophistiqués permettant d’en fabriquer.

Fait notoire, cette mesure s’applique aussi aux entreprises étrangères qui utilisent des intrants fabriqués aux États-Unis.

 

Positionnement des États-Unis vis-à-vis la Chine

Angelo Katsoras estime que ces mesures fortes tiennent au fait que la part des États-Unis dans la production mondiale de semi-conducteurs a été divisée par trois depuis 30 ans, passant de 37% à 12%, selon les données de la Maison-Blanche.

En revanche, les Américains dominent toujours dans le marché des logiciels (85%) et des équipements connexes (52%). Par conséquent, la plupart des puces produites dans le monde sont conçues avec des logiciels et des équipements fabriqués aux États-Unis, explique Angelo Katsoras.

C’est notamment pourquoi Taïwan SemiConductor Manufacturing Company (TSMC), le plus grand fabricant de semi-conducteurs au monde, implante ses fonderies les plus avancées aux États-Unis et non en Chine.

À elle seule, cette entreprise fabrique à elle seule plus de 90% des semi-conducteurs les plus avancés dans le monde!

L’importance stratégique de cette entreprise sur l’échiquier mondial peut d’ailleurs expliquer en partie la volonté de Beijing de contrôler un jour Taïwan, selon certains analystes.

Bref, il n’y a pas seulement des motifs politiques…

En terminant, voici un signe annonciateur des bouleversements qui s’en viennent dans les chaînes des approvisionnements des semi-conducteurs.

Le fabricant d’ordinateurs américain Dell cherche à cesser d’utiliser des puces fabriquées en Chine d’ici 2024, rapportait au début de janvier le quotidien japonais Nikkei.

L’entreprise a aussi demandé à ses fournisseurs de réduire considérablement la quantité d’autres composants fabriqués en Chine dans ses produits.

Cette décision d’affaires s’inscrit dans les efforts de DELL de diversifier sa chaîne d’approvisionnement, et ce, sur fond de tensions politiques et économiques entre Washington et Beijing.

D’autres entreprises américaines pourraient faire de même.

La décision de DELL fera nécessairement augmenter ses coûts, ainsi que ceux de ces fournisseurs.

Et, ultimement, des produits qu’elle vend aux consommateurs et aux entreprises.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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