Un brasseur artisanal devenu un joueur de calibre mondial

Publié le 15/10/2011 à 00:00

Un brasseur artisanal devenu un joueur de calibre mondial

Publié le 15/10/2011 à 00:00

Par Pierre Théroux

«Papa, pourquoi on voit notre nom partout ?» Un des fils de Geoff Molson, qui venait tout juste d'apprendre à lire, s'étonnait de voir son nom de famille sur des affiches, au dépanneur et surtout en grosses lettres sur la brasserie située au pied du pont Jacques-Cartier. C'est ainsi qu'il a fait connaissance avec son illustre ancêtre : John Molson.

C'est en 1786 que John Molson, jeune immigrant anglais, achetait ses premiers boisseaux d'orge pour sa petite brasserie en bois rond du faubourg Sainte-Marie. Deux cent vingt-cinq ans plus tard, une septième génération assume la relève de l'empire brassicole, toujours situé aux abords du Saint-Laurent.

Une majorité d'entrepreneurs québécois devront prendre leur retraite dans les prochaines années en s'interrogeant sur la pérennité de leur entreprise. Ce souci épargne la plus vieille brasserie d'Amérique du Nord, qui peut se targuer de traverser un quatrième siècle avec des descendants de la famille à sa tête !

La clé, l'innovation

Où réside la recette de cette longévité, pour la deuxième plus ancienne entreprise du pays après la Compagnie de la Baie d'Hudson ? «La clé, c'est l'innovation», répond Geoff Molson, membre du conseil d'administration. Le lancement de nouvelles marques ces dernières années, comme Rickard's, Canadian 67 ou Molson M, permet à la vieille dame de rester dans le coup. L'inventivité est inscrite dans les gènes de la famille. «Le fondateur, John Molson, était un entrepreneur d'avant-garde qui a su transmettre sa vision à ses descendants», rappelle Stéphane Morin. Exemple : des technologies développées au fil des ans par des brasseurs de Molson sont encore utilisées dans l'industrie partout dans le monde, souligne l'historien et spécialiste de l'industrie brassicole.

De la première mise en bouteille du pays en 1800 jusqu'à la fabrication de la première bière microgazéifiée 210 ans plus tard, Molson a multiplié les innovations technologiques avec un but en tête : toujours chercher de meilleurs moyens de brasser la bière et répondre ainsi aux principes énoncés par son fondateur.

Celui-ci a d'ailleurs donné le ton en faisant construire le premier bateau à vapeur canadien pour ramener plus vite d'Angleterre les ingrédients nécessaires à sa fabrication.

John Molson avait rapidement compris que l'intégration verticale de ses activités lui permettrait de réduire ses coûts et d'avoir un meilleur contrôle sur ses produits. «Plutôt que de faire venir les équipements d'Europe pour les besoins de la brasserie, il a fait construire son propre atelier d'usinage», illustre Stéphane Morin.

Dans les années 1800, Molson développe sa propre souche de levure. L'utilisation de bouteilles en verre, qui s'ajoutent à la vente en vrac, lui offre de nouvelles possibilités de commercialisation. John Molson apposera même une consigne pour pouvoir les réutiliser et réduire ainsi ses coûts. En 1890, l'installation d'un système de réfrigération lui permet de brasser la bière toute l'année. Au début des années 1900, l'entreprise lance sa marque emblématique : la Molson Export. Elle implante une usine d'embouteillage équipée de systèmes automatisés pour laver les bouteilles, les remplir et leur mettre des bouchons. «Molson n'a jamais cessé de moderniser ses installations», souligne l'historien.

Les employés d'abord

La longévité de Molson repose aussi sur ses relations avec les employés. «Chez Molson, le mot famille prend tout son sens», dit Stéphane Morin, soulignant que des employés des 3e et 4e générations travaillent aujourd'hui dans l'entreprise. Fait rare à l'époque, John Molson décide de payer ses employés, alors que la coutume est de leur offrir le gîte et le couvert en guise de salaire. Un médecin oeuvre alors en permanence chez Molson, qui fut aussi un des premiers employeurs à implanter des programmes d'assurance.

Après avoir vu sa production passer de 1 à 25 millions de gallons pendant la première moitié du 20e siècle, Molson se lance dans une série d'acquisitions pour accroître ses ventes. Elle étend d'abord ses activités d'un océan à l'autre en achetant six brasseries de l'Ouest canadien, puis une autre à Terre-Neuve, dans les années 1950. Cette présence dans tout le pays lui permet d'étendre son marché tout en réduisant ses coûts de production. Mais le grand coup viendra en 1989, lors de la fusion avec Carling O'Keefe : elle devient alors la plus grande brasserie du Canada, avec plus de 50 % des parts de marché, et la 5e en importance dans le monde.

Quand la mousse retombe

D'autres acquisitions, réalisées dans les années 1970 connaîtront toutefois des ratés. Dans un désir de se diversifier tous azimuts, l'entreprise, devenue Les Compagnies Molson, avait acquis des intérêts dans des secteurs aussi divers que la quincaillerie, les produits chimiques et les fournitures de bureau, dont elle se délestera graduellement dans les années 1990. Pendant ce temps, son rival Labatt est devenu propriété du géant belge Interbrew et lui a ravi la première place sur le marché canadien.

«La liste de nos erreurs est longue. La concurrence nous a battus sur le marché et c'est tant pis pour nous», reconnaissait Eric Molson, ancien président du conseil et père de Geoff et Andrew, dans une entrevue au magazine Commerce en 1997. Le constat d'échec la pousse à se concentrer dans son secteur d'activité principal, en lorgnant aussi du côté international où les brasseurs vivent à l'heure de la consolidation. Molson fait une percée au Brésil avec l'acquisition de Bavaria en 2000, puis de Kaiser en 2002, ce qui lui permet de devenir le 2e brasseur en importance au Brésil et le 13e à l'échelle mondiale. Quatre ans plus tard, après des pertes financières et de parts de marché, Molson cède le contrôle de sa filière brésilienne.

Toujours engagés

Aujourd'hui, le nom Molson est lié à celui de Coors depuis sa fusion avec le brasseur américain en 2005. La Coors Light est devenue la bière la plus vendue du pays, et la gestion quotidienne des affaires se fait à partir de Denver, au Colorado. Le contrôle de la brasserie n'échappe pas pour autant à la famille Molson, affirment les deux frères, rencontrés dans une salle de conférence aux murs ornés des portraits de leurs ancêtres. «Je continue à jouer un rôle actif, même s'il ne s'agit pas d'un rôle opérationnel», souligne Geoff Molson. Andrew Molson rappelle pour sa part l'importance de l'engagement de la famille comme actionnaire, l'un des principes transmis de génération en génération par son ancêtre. «Nous voulons être des actionnaires engagés qui pensent à long terme et apportent de la valeur à l'entreprise», précise celui qui est associé du Groupe conseil Res Publica, propriétaire entre autres du Cabinet de relations publiques National. En mai dernier, il est devenu président du conseil d'administration de Molson Coors. Selon la convention de l'entreprise, ce poste est occupé en alternance tous les deux ans par un représentant des familles Molson et Coors.

Dépasser les frontières

Andrew Molson entre en poste alors que l'industrie mondiale de la bière doit miser sur les marchés émergents pour assurer sa croissance. Or, les bières de Molson Coors se vendent surtout aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. «Notre objectif est d'accroître notre présence à l'étranger, tout en restant forts dans nos trois grands marchés naturels», dit Andrew Molson. Si la Coors Light demeure la marque phare du brasseur à l'échelle mondiale, «les marques Molson et Carling ont aussi du potentiel sur les marchés internationaux», soutient Geoff Molson.

En juin, l'entreprise a acquis une participation majoritaire dans la brasserie indienne Cobra et créé une coentreprise qui vendra la populaire bière indienne en Asie du Sud. Un mois plus tôt, Molson Coors lançait sa marque Carling en Ukraine, deuxième marché en importance pour la bière en Europe de l'Est.

L'acquisition de Cobra ne suffira pas toutefois à faire de l'ombre au géant britannique SABMiller, qui a acquis la brasserie australienne Foster's au coût de 10,2 milliards de dollars américains, en septembre. Cette transaction du numéro deux mondial, derrière l'autre géant belge AB InBev, brasseur de la Budweiser, fera perdre davantage de terrain à Molson Coors, qui aurait glissé du 5e au 7e rang mondial depuis la fusion.

Petit acteur mondial quant aux revenus et aux hectolitres vendus, Molson Coors s'expose-t-elle à son tour à être convoitée par des intérêts étrangers, au risque de compromettre ainsi l'arrivée d'une 8e génération de Molson à la tête de l'entreprise ? Geoff Molson n'écarte pas totalement cette possibilité. «Il y a toujours un risque pour une compagnie publique, reconnaît-il. Mais notre entreprise continue de progresser et de performer, au bénéfice des actionnaires.»

À la une

Bourse: records en clôture pour Nasdaq et S&P 500, Nvidia première capitalisation mondiale

Mis à jour le 18/06/2024 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. Les titres de l’énergie contribuent à faire grimper le TSX.

Stellantis rappelle près de 1,2 million de véhicules aux États-Unis et au Canada

Environ 126 500 véhicules au Canada sont concernés par le rappel.

Le régulateur bancaire fédéral maintient la réserve de stabilité intérieure à 3,5%

L’endettement des ménages reste une préoccupation pour le Bureau du surintendant des institutions financières.