"Que des entreprises disparaissent est non seulement normal, mais souhaitable" - Tim Harford, économiste

Publié le 09/07/2011 à 00:00

"Que des entreprises disparaissent est non seulement normal, mais souhaitable" - Tim Harford, économiste

Publié le 09/07/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Tim Harford est un économiste nouveau genre. Ses théories s'inspirent de la psychologie, de la physique, de l'anthropologie et de la biologie. Chroniqueur au Financial Times, il vient de publier Adapt: Why Success Always Starts with Failure, qui explore à quelles conditions les entreprises peuvent se réinventer. Et ce qui les empêche d'y parvenir.

DIANE BÉRARD - Devrait-on simplement accepter qu'aucune entreprise ne soit éternelle ?

TIM HARFORD - En effet. On ne peut pas demander à toutes les sociétés de se transformer pour répondre au goût du jour. Ni le manufacturier de machines à coudre Singer ni le géant US Steel ne pouvaient devenir Google ! Que des entreprises disparaissent est non seulement normal, mais souhaitable. Chaque année, on publie les listes des plus grandes sociétés de chaque pays. Saviez-vous que les États dont les 10 premiers noms de la liste changent le plus souvent sont ceux qui enregistrent la plus forte croissance ?

D.B. - Certaines disparitions entraînent davantage de conséquences que d'autres. Qu'en pensez-vous ?

T.H. - Il s'agit là d'une anomalie. Nous avons laissé la situation dégénérer. Nous avons accepté qu'il soit impossible pour une entreprise du secteur financier de disparaître, par crainte des conséquences. Or, nous avons confondu le secteur et ses acteurs. L'écroulement du secteur financier est inacceptable. Par contre, la faillite de certaines de ses entreprises devrait faire partie de la normalité.

D.B. - Pourquoi refusons-nous qu'une entreprise du secteur financier fasse faillite ?

T.H. - À cause de l'effet d'entraînement. Il n'est pas normal que ce secteur recèle une telle interdépendance. On peut le comparer à un réacteur nucléaire : la moindre défaillance peut causer une panne généralisée.

D.B. - Comment corriger la situation ?

T.H. - Il faudrait s'inspirer des stratégies des ingénieurs spécialisés en sécurité. Rendons le système financier "modulaire" afin de repérer rapidement les anomalies et de les isoler. Pour l'instant, elles "dorment" dans le système pendant des semaines, des mois, causant des ravages sournois. C'est à cause de ces dysfonctionnements que nous volons à la rescousse des institutions financières. Ainsi, nous allons à l'encontre de ce qui est sain et souhaitable : que l'échec fasse partie intégrante de l'économie.

D.B. - En attendant qu'une entreprise meure, il faut tout de même qu'elle dure un peu... Votre livre présente trois règles pour qu'une organisation ne disparaisse pas face au premier échec. Lesquelles ?

T.H. - Primo : solliciter des idées neuves et essayer de nouvelles approches. C'est ce que j'appelle faire des "variations". Secundo : choisir, c'est-à-dire distinguer ce qui a fonctionné de ce qui a échoué. Tertio : implanter ce qui fonctionne.

D.B. - Laquelle représente le plus grand défi pour les entreprises ?

T.H. - Tout dépend de la taille de celles-ci. Les grandes entreprises sont très politiques, les gestionnaires principaux jouent leur réputation sur les nouveaux produits et services. Rares sont ceux qui reconnaissent leurs échecs. Les équipes non plus, par crainte des conséquences sur leur carrière. La reconnaissance des bons et des mauvais projets manque donc d'objectivité. Les PME, elles, affrontent un défi différent : elles manquent de ressources pour essayer plusieurs approches simultanément. Il leur est difficile de parier sur plusieurs projets à la fois, car un seul mauvais pari peut entraîner leur perte.

D.B. - Vous prônez l'expérimentation pour innover. Mais, dans certaines situations, cela peut conduire à une forme d'injustice...

T.H. - Certes. Mais le secteur médical a fait la paix avec cette réalité, et il serait temps que d'autres s'en inspirent. Prenez l'aide internationale. Certains croient qu'il est injuste, voire contraire à l'éthique, de donner des livres à des enfants d'un village d'Afrique et pas à ceux du village voisin pour évaluer si ce programme d'aide est efficace. Pour ma part, je me dis que ces enfants ne recevaient aucune aide de toute façon. Alors, mieux vaut tenter l'expérience à petite échelle et valider les résultats. Si ça fonctionne, on étendra le programme, si ça échoue, on n'aura pas gaspillé l'argent de l'aide internationale inutilement. Sans expérimentation, on dilapide de précieuses ressources ; voilà ce qui est contraire à l'éthique. L'expérimentation s'applique aussi au service à la clientèle. Pour évaluer la pertinence de votre proposition, vous devez pouvoir comparer les réactions des clients qui y sont exposés ou non, ou qui reçoivent une autre offre.

D.B. - Notre obsession de l'égalité poserait donc un frein à l'innovation. Pourquoi ?

T.H. - C'est particulièrement vrai dans le cas des services publics. Nous voudrions que toutes nos écoles et tous nos hôpitaux soient semblables. Tous également bons. Or, si j'essaie un nouveau style de gestion ou un traitement dans un hôpital, celui-ci sort du rang. Mais la qualité exige de l'expérimentation et de l'adaptation. Une organisation qui n'essaie rien stagne.

D.B. - Isoler pour mieux innover pourrait être une des leçons de votre livre, n'est-ce pas ?

T.H. - Isoler les projets vraiment novateurs remplit plusieurs objectifs à la fois. D'abord, ils seront acceptés plus facilement par la direction, car ils ne mettront pas en péril les activités régulières. Ensuite, parce qu'ils sont isolés, ils ne seront pas influencés par les façons de faire du reste de l'entreprise. C'est ainsi que la chaîne de magasins Target a pu voir le jour. C'était un projet "expérimental" des grands magasins Dayton Hudson. Finalement, Target en est devenue la division la plus importante, et la société mère a été rebaptisée en son honneur. Si Target avait été incubée au siège social, elle aurait constitué une menace pour l'ordre établi et risqué le couperet. Un des grands défenseurs de "l'isolement créatif" est Richard Branson, fondateur de Virgin. Chacune de ses idées - et elles sont aussi nombreuses qu'hétéroclites - devient une nouvelle division.

D.B. - Vous affirmez que, pour s'adapter et innover, les entreprises et leurs employés doivent être à l'image de votre fille de quatre ans...

T.H. - Un jour, nous avons perdu notre fille dans une foule. Nous avons paniqué ! Pas elle, parce qu'elle a confiance en elle et en nous. Ma fille est un beau mélange d'optimisme débridé, d'inventivité délirante et d'un fort sentiment de sécurité intérieure. Exactement ce que les gestionnaires doivent développer chez leurs employés.

LE CONTEXTE

On connaît les décisions qui ont permis aux entreprises de réussir. Par contre, on parle rarement du processus qui a mené à celles-ci. Plusieurs auteurs, dont Tim Harford, commencent à évoquer que la théorie de la sélection et de l'évolution s'applique aussi aux affaires.

SAVIEZ-VOUS QUE...

Tim Harford tient un courrier du coeur nommé "Dear Economist" dans lequel il résout les problèmes de la vie des lecteurs grâce à l'économie ?

Suivez Diane Bérard sur...

twitter.com/ diane_berard

www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

diane.berard@transcontinental.ca

À la une

Bourse: records en clôture pour Nasdaq et S&P 500, Nvidia première capitalisation mondiale

Mis à jour le 18/06/2024 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. Les titres de l’énergie contribuent à faire grimper le TSX.

Stellantis rappelle près de 1,2 million de véhicules aux États-Unis et au Canada

Environ 126 500 véhicules au Canada sont concernés par le rappel.

Le régulateur bancaire fédéral maintient la réserve de stabilité intérieure à 3,5%

L’endettement des ménages reste une préoccupation pour le Bureau du surintendant des institutions financières.