Des Bleuets en Afrique

Publié le 16/10/2010 à 00:00

Des Bleuets en Afrique

Publié le 16/10/2010 à 00:00

Par Suzanne Dansereau

" Ma femme n'a plus le choix : elle emménage ici. "

Ici, c'est le Cameroun, où Jean-Marc Lajoie est l'un des responsables du nouveau projet de la société montréalaise Rio Tinto Alcan (RTA). La multinationale veut construire deux barrages hydroélectriques de 930 mégawatts (MW) chacun ainsi qu'un troisième dont la puissance reste à déterminer, une aluminerie d'une capacité annuelle de 1,2 million de tonnes et un terminal dans un port en eau profonde. Un projet colossal, dont le développement en trois phases s'étirera sur une dizaine d'années.

Recruté pour lancer le projet, M. Lajoie, chef du secteur Santé, Sécurité et Environnement, a vu son mandat s'élargir. Et l'investissement passer de 6 à 8,9 milliards de dollars américains (G $ US). Le montage financier n'est pas terminé, et les négociations avec le gouvernement camerounais non plus. À ce stade, le projet peut autant aller de l'avant qu'être abandonné. Les défis sont complexes quand une multinationale lorgne le potentiel énergétique d'un pays, pauvre de surcroît.

Propriétaire de ses barrages

" Rio Tinto Alcan veut reproduire au Cameroun ce qu'Alcan a bâti au Québec il y a 75 ans ", explique M. Lajoie dans une entrevue qu'il accorde à son bureau de Yaoundé, la capitale du pays. C'est-à-dire être propriétaire des barrages, du réseau électrique et de l'usine, en plus d'avoir un accès garanti à un port en eau profonde.

RTA veut être propriétaire des barrages pour s'assurer d'un approvisionnement stable en électricité, indispensable à la production d'aluminium.

Seule différence, mais elle est de taille : au Québec, RTA a obtenu des droits de propriété à perpétuité - " un bail à très long terme ", selon l'entreprise - sur les rivières Saguenay et Shipshaw. M. Lajoie affirme qu'elle ne pourrait pas bénéficier des mêmes avantages aujourd'hui au Québec : " L'opinion publique le refuserait. " C'est pourtant ce qu'elle vise au Cameroun.

Dans ce pays où la réglementation des affaires figure parmi les pires du monde, le géant est en mode séduction dans le but d'obtenir le maximum de concessions du gouvernement. L'aluminerie de Kribi aura un effet aussi structurant qu'a eu le barrage d'Assouan en Égypte, contribuera de manière substantielle à l'enrichissement du pays, et augmentera l'attrait du Cameroun pour l'investissement direct étranger, promet-elle dans une étude d'impact socioéconomique produite en 2009. L'étude, produite par E & B-Data, de Montréal, évalue les retombées à 7,6 % du PIB du pays.

De plus, RTA fait valoir qu'elle créera près de 10 000 emplois permanents pendant 50 ans et laissera un surplus d'électricité de 200 à 250 MW au réseau électrique du pays, actuellement en panne le quart du temps, sans parler des nombreux villages qui n'y sont pas reliés.

Autre promesse : RTA assumera une bonne partie des frais de formation de la main-d'oeuvre et des sous-traitants liés au projet dans une quinzaine de filières (génie civil, assemblage, montage, travail du métal, etc.). Cette promesse de développement du tissu économique touche une corde sensible dans n'importe quel pays pauvre.

De plus, RTA promet de contribuer à des initiatives de développement local : puits d'eau potable et minicentrales hydroélectriques en collaboration avec l'ONG Électriciens sans frontières.

À la conquête de territoires vierges

Le projet du Cameroun est dans l'air du temps. " À l'heure actuelle, les multinationales signent des lettres d'intention partout dans le monde, car elles sont à la recherche de nouveaux mégaprojets dans des territoires vierges où elles pourront obtenir de l'énergie à peu de frais ", observe l'économiste Marc-Urbain Proulx, de l'Université du Québec à Chicoutimi.

Ainsi, RTA lorgne également le Paraguay. BHP Billiton a un projet au Congo (un pays voisin du Cameroun, dans un des plus importants bassins hydrauliques du monde). Et Alcoa s'installe en Arabie saoudite. La Chine n'est pas sur les écrans radars des multinationales, car le gouvernement a décrété un moratoire sur la construction d'alumineries.

Selon M. Proulx, de telles démarches servent les négociations de ces géants avec les gouvernements où ils sont déjà établis, comme au Québec. " Elles impliquent que si on ne s'entend pas avec ces gouvernements, on peut s'installer ailleurs ", souligne M. Proulx. Mais tous ces projets n'aboutissent pas. Certains cas représentent des défis logistiques importants, comme au Paraguay, où il n'y a aucun port en eau profonde. D'autres échouent parce que les gouvernements ne remplissent pas leurs obligations contractuelles, comme dans un projet de RTA en Afrique du Sud, ou en raison d'une opposition de la population, comme c'est le cas en Islande, toujours relativement à RTA.

Au Cameroun, la faisabilité du projet est conditionnelle à la construction d'un barrage de retenue pour alimenter les futurs barrages de RTA. Or, le gouvernement du président Paul Biya promet ce barrage depuis des lustres et sa construction n'a toujours pas été entreprise.

" Si les travaux ne débutent pas au début de 2011, nous ne pourrons pas continuer ", avertit Jean-Marc Lajoie. RTA est déjà un partenaire de l'État dans une autre aluminerie à Edéa, qui fonctionne à 60 % de sa capacité faute d'approvisionnement suffisant en électricité.

De plus, RTA ne s'est pas encore entendue avec le gouvernement sur le type de droits de propriété. " Nous n'investirons pas si nous ne sommes pas à l'aise avec ce qu'il nous propose à cet égard ", précise M. Lajoie.

Deux autres points n'ont pas été réglés : le coût de l'approvisionnement en eau et les tarifs douaniers, où se situe le risque de corruption. RTA s'inquiète aussi de la faiblesse de la main-d'oeuvre. " Le manque de main-d'oeuvre formée est une préoccupation, concède Jean-Marc Lajoie. Cela pourrait devenir un noeud. " Les audiences publiques pour le projet de RTA au Cameroun ont eu lieu en septembre. Le ministère de l'Environnement du Cameroun devrait donner sa réponse d'ici la fin de l'année.

( L'AVIS DU SYNDICAT )

Nom: Alain Gagnon

Titre : Président

Organisation : Syndicat national des employés de l'aluminium d'Arvida

" Le projet de RTA Cameroun est bienvenu, mais il ne faut pas rejeter ceux qui sont déjà à la table [au Québec]. Je ne comprends pas qu'Hydro-Québec exporte son électricité à bas prix au Vermont au lieu d'être plus agressive dans sa vente de blocs d'énergie à des alumineries qui créeraient des bons emplois ici. "

suzanne.dansereau@transcontinental.ca

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