Molson Coors Canada se lance à l'assaut des microbrasseries. Le géant brassicole, par la création récente de sa nouvelle division Six Pintes, envisage non seulement de développer de nouvelles bières de spécialité, mais aussi d'acquérir des petits brasseurs québécois pour accroître sa présence dans le marché des bières artisanales.
«Notre portfolio de marques pour le Québec n'est pas encore défini. Nous regardons différents scénarios, comme des acquisitions, le développement de produits ou l'importation de bières de microbrasseries», dit Pierre Duc, vice-président ventes au Québec de Molson Coors Canada, qui se défend contre l'accusation d'attaquer brutalement les microbrasseries.
«Je vois cela de façon différente. L'objectif, c'est d'amener des innovations dans le marché, comme on l'a fait avec la Rickard's et comme le font les microbrasseries, pour accroître la consommation de bière. Si on réussit, c'est toute l'industrie qui en profite», explique M. Duc.
Les grands brasseurs doivent réagir non seulement à une diminution de la consommation de bière et de leurs produits traditionnels, mais aussi à un engouement pour les bières de spécialité.
«Les brasseurs nord-américains doivent se positionner pour offrir des produits artisanaux, spéciaux et de qualité supérieure dans les marchés établis», dit Kenrick Jordan, économiste principal, BMO Marchés des capitaux.
Deux acquisitions
La création en mai dernier de la Compagnie de bières de spécialité Six Pintes s'inscrit dans la stratégie de Molson Coors Canada d'occuper une plus grande place dans ce segment de marché qui croît le plus rapidement dans l'industrie. La nouvelle entité aura ses propres budgets et une stratégie de développement de marché différente de celle de la maison-mère.
«Ces marques-là ont besoin d'une attention particulière pour répondre aux besoins d'une clientèle spécifique», explique Pierre Duc, en soulignant que le modèle d'affaires appliqué aux grandes marques comme Coors Light et Molson ne sied pas au développement et à la croissance des marques de bière de spécialité.
Pour l'instant, cette nouvelle division indépendante de Molson Coors offrira les bières de deux brasseries artisanales canadiennes acquises ces dernières années par Molson, soit le joyau des microbrasseries ontariennes acheté en 2005 : Creemore Springs, qui a elle-même mis la main en 2009 sur la Granville Island Brewing de Vancouver.
Microbrasseries québécoises aux aguets
Peter McAuslan, brasseur des bières St-Ambroise et Griffon, se doute bien que Molson lorgnera du côté des plus grandes microbrasseries québécoises pour accroître son portefeuille. Et si Molson frappe à sa porte, «je vais rester poli», dit le pdg et fondateur de l'une des premières microbrasseries à avoir vu le jour au Québec, en 1988.
Les Brasseurs du Nord, une microbrasserie née en 1987 et productrice de la Boréale, n'a «pas de pancarte À vendre sur le terrain», assure la cofondatrice Laura Urtnowski, aussi présidente de l'Association des microbrasseries du Québec.
Elle s'inquiète surtout que Six Pintes souhaite offrir une plus grande sélection de bières de spécialité non seulement du Canada, mais aussi de l'étranger. «Molson pourrait avoir un pouvoir indu sur la distribution de ses nouveaux produits, en signant par exemple des ententes d'exclusivité avec des bars et des restaurants», précise-t-elle.
Le Québec compte une centaine de microbrasseries, brasseries artisanales et bistros-brasseries essaimés partout dans la province. Les microbrasseries, dont la production est en hausse constante avec quelque 350 000 hectolitres de bière en 2010, accaparent maintenant 7 % du marché de la bière au Québec.
En 2004, la vente d'Unibroue à Sleeman avait semé l'émoi dans le milieu des microbrasseries. Deux ans plus tard, Sleeman Unibroue passait dans le giron de Sapporo, la plus vieille brasserie commerciale japonaise.
