" Près de 20 % de vos entreprises sont plus mal gérées que les sociétés chinoises et indiennes "

Publié le 15/01/2011 à 00:00

" Près de 20 % de vos entreprises sont plus mal gérées que les sociétés chinoises et indiennes "

Publié le 15/01/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Nicholas Bloom aime les gestionnaires. Il en a fait son principal objet d'étude. Sa spécialité : l'impact des saines pratiques de gestion sur la performance des entreprises. Avec l'aide de la firme Accenture, ce professeur de l'Université Stanford et ex-consultant pour McKinsey a initié des firmes indiennes à 38 pratiques de gestion jugées " universellement saines ". Résultat : ces entreprises ont toutes amélioré leur productivité. Mais les conclusions de M. Bloom ne s'appliquent pas qu'aux pays émergents. Les entreprises canadiennes aussi traîneraient moins la patte si elles formaient mieux leurs gestionnaires, affirme-t-il. Nous l'avons joint à son bureau, en Californie.

Diane Bérard - On a beaucoup caricaturé les cadres intermédiaires dans des bandes dessinées comme Dilbert et des émissions telles que The Office. Votre étude leur offre une revanche : après tout, ces gestionnaires ont leur utilité.

Nicholas Bloom - Tout à fait. Le tiers de l'écart de productivité entre l'Inde et les États-Unis s'explique par la mauvaise gestion des sociétés indiennes.

D.B. - La qualité de la gestion n'est-elle pas plus une question d'individus que de méthodes ?

N.B. - Pas du tout ! Il faut éliminer ce mythe au plus vite. À quelques exceptions près, dont Jack Welch fait partie, la saine gestion dépend des méthodes, pas des personnes. Les entreprises qui connaissent le plus de succès voient au-delà de la personne et considèrent le poste. Elles établissent des normes qui peuvent être reproduites dans toute l'organisation et survivre au départ du patron. Ne confondez jamais le gestionnaire et les pratiques de gestion. L'un passe, les autres doivent demeurer. En fait, vous pouvez vous en tirer avec un gestionnaire ordinaire et de saines pratiques de gestion; l'inverse est rarement vrai.

D.B. - La saine gestion n'est-elle pas d'abord une question de contexte et de secteur ?

N.B. - Ce débat fait rage depuis l'Angleterre manufacturière de Dickens. Pour ma part, je me range du côté d'Adam Smith qui disait à l'époque que les usines les plus efficaces le devaient à leurs méthodes de gestion bien plus qu'à leur gestionnaire.

D.B. - Vous affirmez qu'il existe une " petite robe noire du management ", soit des méthodes qui vont comme un gant à toutes les organisations. Quelles sont-elles ?

N.B. - Ce n'est pas sorcier. D'abord, vous mesurez. Sans information, on ne va nulle part. Ensuite, vous fixez des cibles. Finalement, vous motivez. Qu'avez-vous prévu pour ceux qui ratent la cible ? Et les superperformants, sont-ils récompensés ou laissés à eux-mêmes ?

D.B. - Donnez-nous quelques exemples de pratiques " universellement saines " que vous avez contribué à implanter dans les entreprises textiles indiennes.

N.B. - Il en existe 38. En voici quelques-unes associées au secteur manufacturier : effectuer la maintenance préventive de tous les équipements, noter les temps d'arrêt de chaque machine, implanter un système de récompense fondé sur la performance pour tous les cadres ainsi que les employés de production, afficher chaque mois le nom des employés les plus performants, segmenter les commandes des clients en fonction de leur priorité, etc.

D.B. - Pourquoi avoir choisi l'Inde pour mener votre expérience ?

N.B. - Parce que nous savions que la gestion y accusait un sérieux retard. Il y était donc plus facile de mesurer l'impact de meilleures pratiques. Et puis, cette étude exigeait le soutien de consultants. En Inde, elle a coûté 1,5 million de dollars (M $) ; au Canada ou aux États-Unis, la facture aurait facilement grimpé à 5 M $.

D.B. - Comment s'est déroulée cette expérience ?

N.B. - Nous avons créé deux groupes témoins. Le premier a profité gratuitement des services de consultants pendant cinq mois pour implanter de saines méthodes de gestion. L'autre groupe n'a rien changé. Résultat : dans le premier groupe, la non-qualité à été réduite de moitié, les inventaires ont chuté de 40 % et la production s'est accrue de 10 %. Si ces entreprises maintiennent les pratiques de gestion implantées, les profits pourraient grimper de 200 000 $ chaque année. Sans compter les bénéfices collatéraux : plus de contrôle, plus de cueillette d'information, une meilleure utilisation de l'informatique, plus d'autonomie pour les employés, etc.

D.B. - Votre étude a été réalisée dans le secteur manufacturier. Les gestionnaires intermédiaires sont-ils aussi utiles dans le secteur des services ?

N.B. - Absolument. Depuis 10 ans, McKinsey et l'Institute for Competitiveness and Prosperity, en Ontario, mesurent les pratiques de gestion dans quatre secteurs : fabrication, commerce de détail, hôpitaux et écoles. On relève d'énormes variations. Ainsi, certains gestionnaires mesurent tout et d'autres ne mesurent rien. Saviez-vous qu'en cas de crise cardiaque, vos chances de survie sont de 10 % plus élevées dans un hôpital bien géré ? Je ne parle pas ici de la qualité de votre médecin, mais de celle des cadres et de leurs pratiques.

D.B. - Comment se porte la gestion dans les sociétés canadiennes ?

N.B. - Plutôt bien en général. Toutefois, 20 % de vos entreprises sont plus mal gérées que la moyenne des sociétés indiennes et chinoises. Ce sont souvent des entreprises familiales parvenues à la deuxième ou troisième génération, dans lesquelles les enfants ont pris la relève sans posséder le talent du fondateur. On y constate une absence de pratiques de gestion formelles et constantes. Ces entrepreneurs devraient prendre la situation au sérieux : ils s'avèrent moins bons que leurs concurrents des pays émergents et paient leurs employés bien plus.

D.B. - Et les sociétés américaines ?

N.B. - Elles sont un peu meilleures. Cette différence est probablement attribuable au fait qu'elles jouent plus dur. Les sociétés américaines recrutent et congédient de façon plus musclée. Le seul secteur où les entreprises canadiennes obtiennent à peu près le même score que les sociétés américaines est le commerce de détail; cela s'explique à mon avis par le fait que plusieurs détaillants canadiens sont des filiales de détaillants américains. Ils emploient donc les pratiques de la maison-mère.

D.B. - Et les sociétés européennes ?

N.B. - À l'exception des entreprises de la Suède et de l'Allemagne, les sociétés européennes sont moins bien gérées que celles du Canada.

D.B. - Comment les entreprises canadiennes pourraient-elles améliorer la qualité de leur gestion ?

N.B. - C'est une question d'éducation : on trouve plus de gestionnaires diplômés aux États-Unis qu'au Canada. Il y aussi la rémunération : attirer de bons gestionnaires au Canada est difficile, parce que les salaires y sont plus bas. La troisième variable est hors du contrôle des entreprises ; il s'agit de la concurrence. Plus une firme a de concurrents, mieux elle est gérée.

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