" Ce serait un quasi-sacrilège que CGI disparaisse "

Publié le 19/02/2011 à 00:00

" Ce serait un quasi-sacrilège que CGI disparaisse "

Publié le 19/02/2011 à 00:00

Fort du principe que seuls les écrits restent, Serge Godin a fait inscrire noir sur blanc dans la constitution de CGI des valeurs phares comme le rêve et la satisfaction de la clientèle.

René Vézina - Y a-t-il eu un moment clé déterminant dans l'évolution de CGI ?

Serge Godin - Il y en a eu plusieurs. J'ai commencé à travailler en service-conseil pour une entreprise de Québec qui, un jour, a été vendue. En trois mois, on est passé de 57 à 7 employés. Et j'étais l'un d'entre eux. Je me suis dit alors : " Si jamais je crée une entreprise, je ne ferai jamais ça à mon monde. "

Des offres d'acquisitions, CGI en a eu des dizaines. On a toujours dit : " Non, notre entreprise est là pour rester. " Dans toute l'histoire de CGI, il est arrivé une fois où j'ai eu peur de devoir vendre l'entreprise. En octobre 1987, nous étions une entreprise publique depuis peu et nous allions émettre des actions à 6,50 $. Deux de nos collègues décident alors de vendre leurs positions. Ils détenaient un bloc important de l'entreprise, l'un 5 %, l'autre 3 %, lorsqu'ils ont choisi de partir.

R.V. - Qu'avez-vous fait alors ?

S.G. - André et moi avons alors décidé qu'on ne pouvait pas faire en même temps une émission publique et ajouter 8 % d'actions supplémentaires sur le marché. Les actionnaires n'auraient pas été contents. Nous avons alors racheté ces actions. Puis, est survenu le black monday. Nous avions payé 5 $ l'action et le cours est descendu à 0,90 $. Nous les avions achetées personnellement. À ce moment-là, les taux d'intérêt étaient à 15, 16 ou 17 %. Dans mon cas, sur le plan financier, j'étais étranglé. Et mon salaire, alors de 70 000 $ par année, était loin de couvrir les intérêts sur les millions de dollars que j'avais utilisés pour acheter les actions. Ça a été un moment décisif pour moi. Je me suis dit qu'il fallait en priorité protéger la destinée de CGI des intérêts personnels des fondateurs. C'est à ce moment-là que nous avons pris la décision, André et moi, de nous assurer que la situation personnelle de nos familles s'améliore graduellement, de façon à protéger l'entreprise des besoins financiers des fondateurs.

R.V. - Aujourd'hui, vous êtes le président exécutif du CA. Comment agissez-vous avec vos membres ?

S.G. - J'agis comme je le faisais quand j'ai créé l'entreprise. Je pense que l'une des conditions essentielles pour qu'une entreprise puisse se développer, c'est d'arriver à documenter ses valeurs et ses pratiques. Par exemple, je parlais du rêve tout à l'heure. Il y a une grande différence entre entendre Serge Godin parler du rêve une fois par année, à l'assemblée annuelle interne, et de voir cette notion inscrite dans ce qu'on a appelé " la constitution CGI ". Quand vous ouvrez la charte de CGI, la première chose qui est écrite, c'est le rêve. Sans cette documentation, on aurait toutes sortes d'interprétation.

R.V. - Est-ce que vous documentez tous vos principes de la même façon ?

S.G. - Dans chacun de leurs marchés, peu importe où ils se trouvent dans le monde, les gens doivent appliquer le même système, par lequel on mesure le niveau de satisfaction de nos clients. Le programme d'évaluation de satisfaction des clients, le PESC, est structuré. On y retrouve les mêmes 13 questions que l'on pose à tous les clients partout dans le monde. Les paroles, on les entend, mais elles ne durent pas. Lorsque c'est écrit, et surtout lorsqu'il y a des indicateurs pour mesurer l'application de ces politiques, la culture finit par s'étendre partout.

R.V. - Est-ce qu'il y a des gens qui vous ont servi d'inspiration ?

S.G. - Si on revient au rêve de CGI, la création d'un environnement dans lequel on a du plaisir à travailler ensemble, j'imagine que cela vient aussi du sourire de mon père quand il réussissait à satisfaire ses clients. Il y a également de très grands leaders qui m'ont inspiré. Par exemple Laurent Beaudoin, un monsieur magnifique. Passer une heure en sa compagnie, c'est vraiment quelque chose. Une discussion avec lui peut valoir trois ans à l'université. C'est un homme brillant, un entrepreneur extraordinaire. Il y a aussi Jacques Lamarre, qui a un autre style de gestion. Puis, Rémi Marcoux : il est extrêmement compétent. Sa feuille route est impressionnante. Ces gens-là sont remarquables. Et quand on a l'occasion d'échanger des idées avec eux, ça aide.

R.V. -Avez-vous un exemple précis en tête ?

S.G. - Les frères Métivier, d'IPL, m'ont aussi influencé. Un jour, j'ai eu droit à une visite d'usine avec Julien. Il avait acquis des machines pour fabriquer des produits pour l'industrie automobile. C'était une nouvelle technologie. Ce qui m'avait marqué, c'est que, sur chacune des machines, il y avait un tableau blanc où était inscrit le nom de tous les travailleurs qui avaient suivi la formation pour les faire fonctionner. Il avait ainsi démontré que le nombre de défauts de production par machine diminuait au fur et à mesure que le personnel suivait la formation. Je me suis dit : " Voilà ce qu'il faut qu'on fasse nous aussi. "

R.V. - On dit qu'on manque d'entrepreneurs au Québec, que les jeunes ne sont pas aussi ambitieux que leurs aînés pour bâtir de grandes entreprises. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

S.G. - Je suis convaincu que les jeunes ne sont pas moins ambitieux. Mais le goût d'entreprendre se développe à un jeune âge. Or, au Québec, on a perdu beaucoup de terrain durant les 20 dernières années par rapport aux autres provinces quant au nombre d'entrepreneurs. Une entreprise, c'est un projet où des gens s'assoient ensemble pour échanger et créer. Si on regarde les programmes au primaire, par exemple, on réalise que l'économie s'enseigne beaucoup plus tard. Et je me suis dit : " Si on ramenait ces questions auprès des jeunes, il me semble que l'esprit d'entreprendre reviendrait. " Je crois qu'il n'y a rien de mieux que d'intéresser les jeunes à des projets d'entreprise. Ce qui nous anime tous, c'est de travailler à un projet. C'est par là qu'on devrait commencer, et rapidement. Dans Le Barbier de Séville, de Beaumarchais, on dit : " la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre ". Probablement que cela ne va pas encore assez mal, car le jour où ça ira vraiment mal, de nouvelles idées surgiront.

R.V. - Qu'est-ce que vous aimeriez que l'on retienne de vous ?

S.G. - J'aimerais qu'on se souvienne de moi comme de quelqu'un qui a continué à améliorer le travail d'équipe. Et j'aimerais que dans 25 ou 50 ans, cette entreprise soit toujours bien assise au Québec. Cela fait 35 ans qu'on s'exerce à faire de CGI une championne mondiale. Ce serait pour moi un quasi- sacrilège qu'elle disparaisse. Il faut être très prudent. Les 31 000 personnes qui travaillent pour nous ont une influence sur deux ou trois autres personnes, en moyenne. Si on fait une erreur, près de 100 000 personnes peuvent être touchées. Mon rêve, c'est que tout continue pour le mieux.

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Visionnez l'entretien entre René Vézina et Serge Godin

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