Les pièges de la semaine de 60 heures

Publié le 01/12/2008 à 00:00

Les pièges de la semaine de 60 heures

Publié le 01/12/2008 à 00:00

Nombre d'employés font de longues heures de travail, soit par passion, soit par obligation. Mais trop travailler peut rendre malade.

Il y a quelques années, Julie Gauvin, cadre chez Publicis, une firme de marketing, travaillait 60 heures par semaine. Célibataire et sans enfant, elle était à son poste du lundi au vendredi, ainsi que le dimanche. Elle y a d'ailleurs rencontré son conjoint, un consultant, un soir de bureau ! "Nous étions les seuls à travailler encore, avec la femme de ménage", dit en riant la directrice senior au service-conseil.

Carriériste et passionnée, Julie Gauvin n'a jamais compté les heures. Ce bourreau de travail, qui ne dort que six ou sept heures par nuit, aime gravir les échelons. Le jour de notre rencontre, un vendredi à 16 heures, elle venait d'obtenir une promotion. "Je me réalise beaucoup dans ma profession", ajoute la jeune femme de 35 ans. Mais depuis qu'elle a un conjoint, elle ne travaille "plus que" 50 heures par semaine. "Les fins de semaine sont sacrées", dit-elle.

Selon l'Institut de la statistique du Québec, les gestionnaires et les professionnels québécois travaillent en moyenne respectivement 38,7 et 35,7 heures par semaine. Les premiers effectuent plus de trois heures supplémentaires (rémunérées ou non) par semaine, par rapport à près de deux heures pour les seconds. Nombre d'entre eux prolongent leur semaine de travail à 50, voire à 60 heures.

Ces longues heures ont un prix. Bien sûr, chacun a une réserve d'énergie différente. "Mais les études montrent que généralement, lorsqu'on travaille plus de 47 heures par semaine, le risque de souffrir de problèmes de santé physique ou mentale augmente", dit Estelle Morin, professeure et directrice du Centre de recherche et d'intervention pour le travail, l'efficacité organisationnelle et la santé, à HEC Montréal. Les bourreaux de travail ont tendance à présenter plus de symptômes dépressifs et d'irritabilité, selon elle.

Au Japon, on a même donné un nom aux décès dus au surmenage : le karoshi ! Depuis les années 1970, des milliers de Japonais sont morts d'une crise cardiaque ou d'un accident cérébrovasculaire, après avoir travaillé pendant une période prolongée - 24 heures consécutives, par exemple, ou 16 heures par jour pendant sept jours. On montre du doigt leur mode de vie : manque de sommeil et d'exercice, mauvaise alimentation, tabagisme, abus d'alcool, stress...

La semaine de 60 heures peut avoir d'autres conséquences néfastes. "Plus une personne accumule les heures, plus elle risque de faire des erreurs ou d'être victime d'un accident au travail", dit Simon Folkard, professeur émérite de la Swansea University, au Royaume-Uni, qui a étudié le sujet. Pour réduire la fatigue, il recommande de prendre des pauses fréquentes, (dix minutes toutes les deux heures, par exemple). Deux bonnes nuits de sommeil d'une durée normale les jours de congé sont aussi nécessaires pour récupérer.

Toujours plus !

Marc Leloup a fait l'expérience des longues heures et de leurs conséquences. Ce cadre d'origine française a travaillé pendant 12 ans dans une grande entreprise d'emballage en France, où il voulait faire ses preuves. "J'ai passé des nuits blanches dans des usines, se rappelle l'homme de 39 ans, qui a immigré au Québec en 2004. Et je travaillais le lendemain !"

Dans son milieu de travail, un tel régime était encouragé. "Certains employés n'osaient pas quitter le bureau avant 19 h 30 parce que des collègues y étaient encore, rapporte-t-il. Lorsqu'on ne travaillait pas tard le soir, on avait intérêt à fournir un très bon rendement."

Marc Leloup aimait beaucoup son travail. Mais avec le temps, il s'est lassé de la philosophie du "Toujours plus !" de son employeur. "Pour l'entreprise, l'important, c'était de faire de l'argent, dit-il. Le client passait en second." Il souffrait aussi de stress et il s'endormait en pensant aux problèmes qu'il avait au bureau.

Marc Leloup a finalement quitté son emploi et s'est installé au Québec avec sa conjointe. Directeur au développement des affaires de Sextant, une firme montréalaise de recrutement, il travaille environ 30 heures par semaine. "Le travail demeure un moyen de me réaliser, mais ce n'est plus une priorité, dit ce joueur de tennis, qui donne des cours la fin de semaine. J'ai passé trop de temps au bureau."

Dans le passé, Marc Leloup passait ses fins de semaine à se reposer en prévision... de la semaine à venir ! Il profite maintenant de ses journées de congé pour faire des activités et pour construire une petite maison écologique dans les Cantons-de-l'Est avec sa compagne. Il doit toutefois limiter ses dépenses, puisque son salaire n'équivaut plus qu'à la moitié de ses revenus d'autrefois. "Je ne joue plus à la Bourse, dit-il. Je vis mieux avec moins !"

Le fameux équilibre

Marc Leloup a trouvé son équilibre. Chacun a le sien. "Et celui-ci ne se mesure pas en nombre d'heures, croit Julie Carignan, mère de trois enfants et associée à la Société Pierre Boucher, une firme québécoise de consultants en psychologie organisationnelle. On peut être épuisé après avoir passé six heures à une tâche qui nous draine. Par contre, on peut travailler pendant 12 heures sur un dossier qui nous passionne", poursuit-elle. Selon elle, il faut savoir doser ses activités.

Gérer son agenda et ses priorités est aussi primordial. "Très souvent, on travaille longtemps parce qu'on travaille mal, observe Caroline Aubé, professeure au service de l'enseignement du management, à HEC Montréal. Les réunions mal préparées, entre autres, grugent beaucoup de temps." Sans compter les dizaines, voire les centaines de courriels que les cadres doivent traiter quotidiennement.

Marc Leloup ne souffre plus de la réunionite qui sévit dans les grandes entreprises. Il rencontre son collègue de Sextant une fois par semaine et lui parle brièvement au téléphone chaque jour. "Je suis beaucoup plus efficace maintenant, estime-t-il. Lorsque j'ai une baisse d'énergie, je m'arrête pendant une heure pour aller marcher, par exemple. Ensuite, j'ai les idées plus claires."

Pour éviter toute surcharge de travail, Julie Gauvin a établi des règles précises avec ses employés. D'abord, elle ne reçoit de copies conformes que si c'est absolument nécessaire. "Avant de me rencontrer, je leur demande d'avoir au moins cinq ou six sujets à discuter, dit la gestionnaire, dont la porte est toujours ouverte. Je veux qu'ils m'apportent des solutions, pas des problèmes."

Finir à 17 heures reste néanmoins illusoire pour elle. "Mon employeur ne m'a jamais demandé de travailler aussi longtemps, dit la gestionnaire, une perfectionniste qui a dû apprendre à déléguer. Je le fais d'emblée, car je me sens responsable des résultats de l'agence, qui est cotée en Bourse."

Choix personnel, culture d'entreprise, exigences à peine voilées du patron... Les longues heures sont encore valorisées dans la société actuelle, déplore Florent Francoeur, PDG de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (ORHRI). "Le rendement d'un employé ne doit pas se mesurer à la durée de sa présence au bureau, mais à ses résultats", soutient-il. Et les objectifs doivent être réalistes.

Florent Francoeur conseille aux employeurs de décourager les employés de faire des heures supplémentaires. "Ils devraient leur dire : "Donnez un bon huit heures de travail, et après, rentrez chez vous !"" conclut-il.

64 %

des salariés disent qu'il est bien vu d'arriver au travail plus tôt ou d'en partir plus tard, d'après un sondage CROP commandé par l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec et publié en août.

LA SEMAINE DE TRAVAIL DIMINUE

En 2007, le travailleur québécois moyen qui occupait un poste à temps plein consacrait 39,4 heures au travail, par rapport à 41,1 heures en 1976, selon l'Institut de la statistique du Québec.

TENDANCE MONDIALE

25,7 % des travailleurs au Royaume-Uni travaillent plus de 48 heures par semaine, selon un rapport de l'Organisation internationale du travail publié en 2007. Ce pourcentage est de 20,4 % en Australie et de 18,1 % aux États-Unis.

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