Entrevue n°294 : Lotfi El Ghandouri, fondateur, Creative Society


Édition du 18 Juin 2016

Entrevue n°294 : Lotfi El Ghandouri, fondateur, Creative Society


Édition du 18 Juin 2016

Par Diane Bérard

«Les mouvements sociaux peuvent nous apprendre comment stimuler la collaboration en entreprise» - Lotfi El Ghandouri, fondateur, Creative Society.

Lotfi El Ghandouri est un citoyen du monde. Il naît en Tunisie, transite par la France et se pose au Québec jusqu'à l'obtention de son diplôme en marketing de l'Université de Sherbrooke. Cap sur la Colombie, puis sur l'Espagne. Cet été, il rentre au Québec avec l'intention d'ajouter Montréal au réseau international Impact Hub. Réflexions d'un expert-conseil atypique qui a fondé la firme Creative Society.

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Diane Bérard - Qu'est-ce que Creative Society ?

Lotfi El Ghandouri - C'est une firme-conseil spécialisée dans la création d'écosystèmes innovants. Nos bureaux se trouvent à Madrid, à Barcelone, à Casablanca, à Medellin et à Paris. Nous voulons normaliser l'innovation. Tout est devenu trop scientifique, trop organisé. Les employés sont paralysés.

D.B. - Vous souhaitez orienter la discussion qui tourne autour de l'innovation vers l'impact. Expliquez-nous.

L.E.G. - L'innovation est un moyen. Le but, c'est l'impact. Grâce à la collaboration et à l'innovation, Creative Society tente de susciter des mouvements organisationnels qui ont un impact positif sur les individus, les organisations et la société.

D.B. - Vous appliquez à vos clients d'affaires une expertise développée à partir de mouvements sociaux. Comment cela est-il possible ?

L.E.G. - Un professionnel doit tester ses méthodes sur le terrain avant de demander à des clients de payer pour ses services. Or, je suis bien conscient qu'aucune entreprise ne paiera pour être le cobaye de Creative Society. Lorsqu'on m'a sollicité pour organiser la collaboration au sein du mouvement des Indignés, en Espagne, j'ai donc saisi l'occasion. J'ai fait de même dans la foulée du printemps arabe, alors que des citoyens de tous les horizons ont exprimé le désir de travailler ensemble.

D.B. - Cette expertise des mouvements sociaux a permis de remporter des contrats face à des firmes réputées comme McKinsey et Bain & Company. Pourquoi ?

L.E.G. - Faire émerger des idées et des innovations dans une société dictatoriale ou faire émerger des idées dans une entreprise hiérarchisée, ce sont des défis très voisins. Je me souviens d'un contrat chez un grand avionneur. C'est notre expertise de l'après-printemps arabe qui les a convaincus de nous faire confiance.

D.B. - Comment travaillez-vous ?

L.E.G. - Restons avec notre client avionneur. Il souhaitait que les idées innovantes ne viennent plus uniquement des cadres. Il voulait qu'elles émanent aussi des autres échelons. Pour en générer davantage, mais aussi parce que la direction avait l'intuition que les idées des autres échelons seraient différentes. Nous avons donc ciblé des agitateurs. Lorsque nous pensions en avoir repéré, nous leur posions la question suivante : «Jusqu'où es-tu prêt à aller pour ton idée ?» «Es-tu prêt à perdre ton emploi ?» Certains nous répondaient, «Je m'en fiche. Je n'ai plus rien à perdre.» Nous sommes partis de ce noyau pour bâtir l'écosystème innovant. Nous savions que nous tenions des gens disposés à prendre des risques.

D.B. - Selon vous, on innove grâce aux gens audacieux, pas aux téméraires. Comment distinguez-vous les uns des autres ?

L.E.G. - Les gens audacieux ont quatre traits bien précis, il suffit qu'il en manque un pour que l'audace se change en témérité. Les gens audacieux affichent une saine estime de soi. Ils ne ressentent pas le besoin de prouver quoi ce soit à qui que ce soit. Ils font aussi preuve de sagesse, soit la capacité de tirer des apprentissages de leurs expériences passées. Ils ont les habiletés requises pour accomplir la mission qu'ils se sont donnée. Finalement, ils ont la volonté d'aller jusqu'au bout.

D.B. - Lors d'un récent mandat, vous avez proposé à un client un tarif réduit s'il adoptait une approche plus humaine avec ses employés. Pourquoi ?

L.E.G. - Plus tôt, je vous ai parlé d'impact. J'applique ce que je prône. Le tiers des profits de Creative Society est consacré à la recherche et un autre tiers à des projets sociaux. Je tente d'avoir un impact avec mes profits, mais aussi à travers mes mandats. Ce client, un grand détaillant aux prises avec des problèmes de croissance, voulait que je l'aide à licencier des employés et à trouver de nouvelles occasions d'affaires. Je lui ai dit «Vous avez le choix : je vous réclame le plein tarif, et on y va avec le diagnostic traditionnel. Ou je vous offre un rabais, et vous retardez les mises à pied pour explorer toutes les possibilités de réduire le nombre de départs.» J'ai risqué cette proposition parce que je sentais que mon client n'était pas à l'aise à l'idée de remercier autant d'employés. Ma proposition lui faisait peur parce qu'elle engageait les employés dans la recherche des solutions. «Nous allons ouvrir une boîte de Pandore et donner de faux espoirs», disait-il. «Au contraire, vous susciterez le respect de ces gens en leur montrant que vous avez tout essayé.»

D.B. - Que s'est-il passé chez ce client ?

L.E.G. - Il a osé la seconde approche. L'idée d'économiser sur mes honoraires était attirante. Mais je crois que la perspective de moins souffrir pendant le processus l'était aussi. Nous n'avons pas pu éviter les licenciements. Mais il y en eu 120 au lieu des 300 prévus. Et puis, avec le personnel, nous avons trouvé suffisamment de sources d'économie pour offrir de meilleures conditions à ceux qui partaient et pour investir dans de nouvelles idées.

D.B. - Vous avez aussi étonné les jeunes entrepreneurs de la société espagnole «From The Bench» venus solliciter Creative Society pour améliorer leur produit...

L.E.G. - Il s'agit des créateurs du jeu «Fantasy Manager», qui permet de gérer une équipe de sport professionnelle. Vous pouvez choisir parmi 1 000 joueurs de 20 clubs. Le jeu connaît un succès fou. Quand ces entrepreneurs sont venus me voir, ils voulaient des idées pour faire décoller leur innovation. J'ai répondu qu'ils avaient le potentiel de créer bien plus qu'un produit. Ils pouvaient écrire une belle histoire. Ils se trouvent à Alicante, un petit village espagnol. J'ai accepté de les aider à condition qu'ils demeurent à Alicante. Que leur succès, que j'entrevoyais comme important, ait aussi un impact sur leur communauté. En plus du jeu, «From The Bench» a créé des applications pour l'Association nationale de basketball et la Ligue nationale de football.

D.B. - L'impact social est inclus dans l'ADN de Creative Society. Pourquoi refusez-vous le titre d'entrepreneur social ?

L.E.G. - Je trouve triste qu'on parle d'entrepreneuriat social, de leadership éthique et de développement durable. L'entreprise est au service de la société. Les leaders doivent être éthiques. Le développement doit être durable.

D.B. - Vous êtes né en Tunisie. Votre famille a émigré en France, puis au Québec. Vous avez fait un détour par la Colombie avant de vous établir en Espagne. En juillet, vous rentrez au Québec, pourquoi ?

L.E.G. - Le Québec m'a beaucoup donné. L'heure est venue de redonner. Et puis, j'ai des enfants. Le système d'éducation québécois est un des moins pires du monde.

D.B. - Vous avez un projet précis, lequel ?

L.E.G - J'ai participé à la création de la communauté internationale Impact Hub. Ce sont des lieux d'accélération d'innovation sociale. En 2016, on comptera 100 hubs. Mais aucun à Montréal. Il est temps de corriger cette situation. Je vais aussi étendre les activités de Creative Society au Québec.

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