[Photo : 123RF]
La société de Montréal n'a jamais été de tout repos en Bourse parce qu'elle maîtrise bien peu son environnement d'affaires.
Les fluctuations du huard par rapport au dollar américain et du prix du carburant, l'humeur dépensière des consommateurs, les ouragans et l'ajout de vols par ses rivales sont autant d'éléments sur lesquels la société n'a aucune emprise.
Après un troisième trimestre record, les orientations fournies pour le quatrième trimestre reflètent cette dynamique encore une fois.
Transat devrait dégager un bénéfice d'exploitation à l'équilibre cet hiver si le dollar canadien est fort, si le pétrole reste à 49 $ US le baril et si les prix des sièges se maintiennent, a indiqué le chef des finances, Denis Pétrin, lors de l'appel-conférence trimestriel.
L'appréciation du huard est devenue un avantage pour la première fois en quatre ans.
En hiver, la réservation de chambres d'hôtel dans les forfaits vers le Sud s'effectue en dollars américains, a rappelé M. Pétrin.
Lorsqu'un analyste a posé la question, Transat ne s'est pas engagée à redevenir rentable à son premier semestre (elle ne l'a pas été au cours de ce semestre depuis 2009) malgré de multiples rationalisations et l'instauration de nouveaux processus internes ces dernières années.
«Vous savez, dans notre domaine, le rendement sur les derniers sièges vendus peut faire toute la différence», a glissé M. Pétrin, en prédisant un bénéfice d'exploitation similaire à celui de 70,8 millions de dollars (M$) de 2015, au quatrième trimestre.
Il faudra surveiller les prochains trimestres puisque l'embauche d'une ex-cadre d'Air France-KLM, experte dans la gestion des revenus, pourrait donner un sérieux coup de barre à cette fonction si critique du transporteur aérien. Michèle Barre, vice-présidente, gestion du revenu, tarification et programmation aérienne, est entrée en poste le 11 septembre.
Hôtellerie : un potentiel à démontrer
Ce qui retient le plus l'attention est la volonté de Transat de devenir propriétaire de 5 000 chambres d'hôtel d'ici 2024 dans ses destinations soleil les plus courues : Mexique, République dominicaine, Cuba, Jamaïque, etc.
La société caresse ce projet depuis la fin des années 1980, lorsque François Legault, le chef actuel de la Coalition avenir Québec, était encore aux commandes des finances de Transat.
Transat s'est familiarisée depuis 10 ans avec l'industrie hôtelière grâce au partenaire espagnol H10 Hotels, dans la coentreprise Ocean Hotels. Le voyagiste aurait aimé racheter le tout, mais l'envergure de la transaction (540 M$ si l'on se fie au prix payé par H10 pour le rachat) aurait déséquilibré son bilan, au moment où elle loue 10 nouveaux Airbus321neo, explique Neil Forster, analyste chez Franklin Bissett Investment Management.
Transat vend sa participation de 35 % à H10 pour 190 M$
Le plan B consiste donc à bâtir son propre réseau de chaînes ou d'hôtels indépendants en acquérant des hôtels et en bâtissant ses propres établissements, au coût de 500 à 600 M$ US.
Les récents ouragans dévastateurs ne refroidissent pas pour l'instant la stratégie d'intégration verticale de l'entreprise.
«C'est comme à l'occasion des attentats terroristes. Ça paralyse les voyageurs pendant quelques jours puis, rapidement, la vie reprend son cours», a évoqué le grand patron de Transat, Jean-Marc Eustache, lors de la conférence du troisième trimestre.
Il faudra attendre le dévoilement du plan stratégique de 2018-2020 à l'assemblée annuelle de mars prochain pour en savoir plus, mais la société a déjà indiqué qu'elle empruntera localement, sous forme d'hypothèques, à chaque transaction pour combler l'autre moitié des investissements totaux estimés à 1,2 milliard de dollars américains.
Étalés sur sept ans, des déboursés annuels de 170 M$ US sont tout à fait réalisables, croit David Ocampo, de Valeurs mobilières Cormark.
«Quand nous avons envisagé la possibilité de racheter la part majoritaire de notre partenaire espagnol, nous avons parlé à des banquiers locaux. L'argent est donc là», a dit M. Eustache.
La nouvelle division hôtelière, qui n'a pas encore recruté son président, vise des hôtels tout inclus modernes, de catégories 4,5 à 5 étoiles. «Les hôtels dégagent des marges supérieures à celles de la vente de forfaits voyages. Cette division pourrait donc graduellement donner de la valeur à Transat», a indiqué M. Forster.
La vente d'Ocean Hotels, prévue le 2 novembre, se réalise à un multiple de 11 fois son bénéfice d'exploitation, alors que l'action de Transat se négocie à un multiple de 4 fois le sien, a-t-il renchéri. Le prix obtenu est de 50 % plus élevé que la valeur comptable de ce placement il y a 10 ans.
Après un rebond de 68 % de l'action depuis le début de l'année, en partie parce que des analystes alimentaient la spéculation d'une vente éventuelle de Transat, le voyagiste a fort à faire pour rester en altitude.
«L'investissement dans les hôtels réduira le capital accessible pour les rachats d'actions. Transat perdra aussi la contribution d'Ocean Hotels, et sa rentabilité reposera entièrement sur la vente de forfaits et de vols au cours des 12 à 24 prochains mois», prévient Turan Quettawala, de Banque Scotia.
Le coin des analystes
Neil Forster, Franklin Bissett Investment Management : « L’évaluation de Transat est encore attrayante, mais le voyagiste devra démontrer que l’amélioration récente de ses marges est durable. »
Mona Nazir, Valeurs mobilières Banque Laurentienne : « Un huard fort est un vent de dos à court terme, mais l’ajout de vols de la part d’Air Canada et de Westjet pour les destinations du Sud et transatlantiques continueront d’exercer des pressions concurrentielles. »
Ahmad Shaath, Beacon Valeurs mobilières : « Si Transat réussissait à dégager un bénéfice d’exploitation à l’équilibre cet hiver, son titre pourrait grimper jusqu’à 17 $ par rapport à notre nouveau cours cible de 13,25 $. »
Benoit Poirier, Desjardins Marché des capitaux : « Nous apprécions l’approche graduelle de sa stratégie hôtelière, car Transat pourra prendre pied dans cette industrie sans entacher son bilan. »
Tim James, TD Valeurs mobilières : « Les investisseurs devraient attendre les détails de la stratégie hôtelière avant d’acheter le titre parce que cette nouvelle stratégie rognera la moitié de son capital. »
Turan Quettawala, Banque Scotia : « Il ne faut pas extrapoler à long terme l’énorme influence du huard et du prix de carburant sur les résultats du troisième trimestre pour cette entreprise incroyablement volatile. »