L'entrepreneuriat scientifique existe, nous l'avons rencontré. Et il se porte bien, si on en croit les initiatives mises en place par des universités et des centres de recherche québécois.
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Scientifiques + entrepreneurs = technopreneurs
Le jour, Félix Thouin fait son doctorat sur les fluides quantiques à l'Université de Montréal (UdeM). Le soir et le week-end, avec deux amis également physiciens, il se plonge dans des études de marché, concocte des esquisses de plan d'affaires et se familiarise avec le marketing. Depuis deux mois, en parallèle avec son doctorat, Félix Thouin, en compagnie de Jacques Lengaigne et d'Olivier Mastropietro, se met dans la peau d'un «technopreneur» : il vérifie la possibilité de commercialiser une technologie en design issue de l'UdeM.
C'est pour valoriser l'innovation et susciter la fibre entrepreneuriale des étudiants que le Centre d'entrepreneuriat Poly-UdeM (Polytechnique-Université de Montréal) a lancé récemment le profil technopreneur. L'objectif est de donner la possibilité à des étudiants de toutes les disciplines d'explorer le monde des affaires tout en valorisant des innovations issues de leurs universités.
Pendant huit mois, deux équipes de trois étudiants sélectionnées parmi sept candidatures «vont devoir montrer la potentialité de l'innovation, vérifier que le marché existe et qu'il est suffisant, faire un plan d'affaires, etc. À la fin, ils devront présenter leur travail devant des experts et des représentants des capitaux de risque», explique Lydia Bukkfalvi, la coordonnatrice en développement entrepreneurial du Centre d'entrepreneuriat.
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Le projet-pilote, qui devrait être reconduit annuellement, est réalisé en partenariat avec la société de valorisation universitaire (SVU) Univalor. C'est elle qui prendra, au final, la décision sur l'opportunité de démarrer une entreprise dérivée en fonction du rapport des étudiants. «C'est une expérience d'apprentissage pour les étudiants, et ça fait avancer le dossier de valorisation de la recherche effectuée à l'université», indique Lydia Bukkfalvi.
Cette expérience fait d'ailleurs réfléchir Félix Thouin, dont le rêve est désormais de concilier science et entrepreneuriat. Le profil technopreneur est l'occasion pour lui d'apprendre les rudiments de l'entrepreneuriat, «de me familiariser avec le langage». Autant d'apprentissages qui lui serviront à fonder - il y pense déjà sérieusement - sa propre entreprise visant à commercialiser une innovation scientifique.
On brasse les idées au Carrefour d'innovation INGO
À quelques mètres des salles de cours de l'École de technologie supérieure (ÉTS), l'ancienne brasserie Dow a été rénovée pour accueillir... des entreprises technologiques innovantes au sein du Carrefour d'innovation INGO. En lieu et place des cuves et de la tuyauterie s'étalent 24 lofts, où l'odeur du houblon a cédé la place à celle des machines de café et où on n'entend plus que des doigts s'activer sur des claviers d'ordinateur.
Depuis le printemps 2011, le Carrefour d'innovation INGO vise à héberger des entreprises innovantes désirant bonifier leur partenariat de recherche et de transfert technologique avec l'ÉTS. Aujourd'hui, 13 entreprises - principalement dans les technologies de l'information et de la communication (TIC) - sont installées à l'ÉTS.
Parmi elles, Aligo Innovation, une société de valorisation universitaire, qui est la fusion récente de Gestion Valeo et MSBi Valorisation. «La décision d'emménager à INGO a été naturelle, car c'est intéressant pour nous d'être dans un environnement de start-ups innovantes. Une bonne synergie peut en naître», affirme la pdg d'Aligo Innovation, Anne-Marie Larose.
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La synergie, c'est exactement ce que recherche l'ÉTS, dont «la mission est de transférer le savoir dans les entreprises du Québec pour favoriser la croissance économique de la province», rappelle Robert Dumontet, le directeur du Centech (l'incubateur de l'école) et du Carrefour d'innovation INGO. Au final, l'école compte ainsi doper ses projets de recherche et les débouchés pour ses étudiants.
D'ailleurs, Solutions Medias 360, une société qui crée des sites Internet et des applications pour les concessionnaires automobiles, est venue s'installer à INGO dès 2012 dans un but précis : recruter des ingénieurs. «Nous étions une équipe avec 17 employés sur la Rive-Sud et on avait du mal à recruter nos ingénieurs, les intégrateurs Web, les designers, etc. Notre problème a été résolu par le fait d'être à proximité de l'ÉTS chez qui on prend plusieurs stagiaires (actuellement 4 à temps plein et 3 à temps partiel), d'une part, et par le quartier qui est proche du centre-ville, mais offre des loyers abordables, d'autre part», explique Normand Martin, contrôleur financier. L'entreprise, qui fait de la R-D en interne mais pourrait nouer des partenariats dans le futur avec l'école, vient de louer plus d'espace au Carrefour pour ses 80 employés.
Du labo au marché
Trois SVU - Univalor, Aligo Innovation et Gestion Sovar - ont pour mission de valoriser la recherche effectuée dans la plupart des universités et centres de recherche québécois.
L'objectif : que les découvertes des chercheurs ne restent pas sans lendemain et, lorsque c'est possible, qu'elles soient commercialisées. Quitte à lancer une entreprise chargée de développer et de vendre une innovation, ce qu'on appelle une «entreprise dérivée». Ce sont les SVU qui se chargent, en amont, de valider l'intérêt du résultat de la recherche pour le marché, de déterminer ce qui lui manque pour être commercialisable et de décider de l'avantage ou non de créer une entreprise.
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C'est exactement ce qui a présidé à la naissance de NoviFlow, une entreprise fondée en 2012 grâce notamment à Aligo Innovation (à l'époque Gestion Valeo), qui représente 10 des 18 universités du Québec.
Dans le cadre du programme de recherche appliquée en équipements de réseaux de l'UQAM, financé notamment par Ericsson, des chercheurs de l'UQAM ont mis au point une toute nouvelle génération de commutateurs pour assurer le transport de l'information entre les centres de données.
L'étude de marché réalisée par Aligo Innovation a montré l'intérêt de l'innovation. Dominique Jodoin, un spécialiste des télécommunications convaincu du potentiel, a créé l'entreprise dérivée NoviFlow. S'en sont suivis six mois de travail pour rendre le produit réellement vendable. «Quand on a pris en charge les commutateurs, ils n'étaient pas encore commercialisables, se souvient Dominique Jodoin : ils manquaient de robustesse, et on a dû faire les tests habituels avant une mise sur le marché.»
C'est une phase normale à la sortie du laboratoire. «Souvent, dans les projets qui nous sont soumis, il y a un bon potentiel, mais on est loin de la vente. La plupart des technologies sont à un stade précoce de développement, ce qui est normal, puisque la recherche universitaire n'a pas comme premier objet de faire des preuves de concept, etc.», indique Anne-Marie Larose.Malgré le développement qu'elle a nécessité, cette innovation de l'UQAM a permis à NoviFlow d'avoir «deux ans d'avance technologique sur nos concurrents et d'être la première compagnie à lancer un commutateur OpenFlow 1.3 à haute performance», affirme le pdg.
La jeune entreprise de 15 employés vend ses commutateurs partout sur la planète et vient de signer un contrat avec un des plus grands fournisseurs de services Internet du monde, établi aux États-Unis, dans le but d'interconnecter ses 100 bureaux dans le monde.
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Innover à la vitesse de la lumière
D'un côté, l'Institut national d'optique (INO) et son expertise en optique photonique. De l'autre, Ressorts Liberté, une entreprise de Montmagny qui compte 400 employés et fabrique des ressorts de haute précision pour les constructeurs automobiles. A priori, rien de commun entre les deux. Et pourtant.
Ressorts Liberté travaille dans un secteur très exigeant sur les normes des différentes pièces qui entrent dans l'assemblage des véhicules : il doit respecter un processus de sélection très exigeant auprès des grands constructeurs automobiles internationaux qui donnent ensuite l'autorisation de fournir leurs sous-traitants. Pour être certaine que ses produits sont conformes, Ressorts Liberté doit mettre en place des processus d'inspection très poussés. Dans le cas des poulies d'alternateur cependant, elle ne réussissait pas à trouver le moyen de faire une vérification assez pointue sur cette pièce complexe. «On avait beaucoup de rejets», se souvient Richard Guimont, président de Ressorts Liberté, dont les pièces se retrouvent sur une voiture sur deux dans le monde.
Pourtant, l'expertise existait à l'INO, où la moitié des 160 employés est constituée de chercheurs et d'ingénieurs ou de technologues et de techniciens. «Notre mission est de développer de nouvelles technologies basées sur l'optique photonique pour rendre plus compétitives les entreprises canadiennes», explique André Fougères, vice-président au développement des affaires. La moitié du chiffre d'affaires de l'INO vient du développement interne de technologies selon les problématiques et les tendances dans l'industrie qui répondent un jour au besoin exprimé, et l'autre moitié provient de l'assistance offerte aux entreprises demandeuses en fonction d'un problème particulier. L'Institut va même jusqu'à la création d'une entreprise dérivée pour commercialiser une technologie prometteuse. En 26 ans d'existence, il a fait 54 transferts de technologie et créé 29 entreprises, toutes encore en activité.
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Dans le cas de Ressorts Liberté, l'INO a été d'un apport fondamental. «On se bat contre les grands du domaine automobile mondiaux. Un de nos principaux concurrents a une chaire industrielle dans une université en Allemagne. C'est difficile pour une PME d'en faire autant», reconnaît Richard Guimond. La solution technologique apportée par l'INO permet non seulement d'inspecter correctement les poulies d'alternateur, et donc de corriger les erreurs avant l'envoi au client, mais aussi de le faire de façon automatisée et systématique. «Notre système automatisé avec éclairage, caméra haute qualité et logiciel de traitement de l'image remplace une armée d'êtres humains, car le défi dans l'industrie de Ressorts Liberté, c'est d'inspecter le mieux et le plus rapidement possible toutes les pièces. On ne peut pas seulement contrôler un échantillon. [Et on peut en contrôler plusieurs] en travaillant avec la vitesse de la lumière», précise André Fougères.
Si l'entreprise de Montmagny est un chef de file mondial de la fabrication et de la distribution de ressorts de haute précision, c'est notamment parce que «ce qui nous rend compétitifs, c'est d'avoir trouvé une niche et de découvrir des solutions innovantes», assure Richard Guimont.
Forts de leur premier succès, l'INO et Ressorts Liberté travaillent actuellement sur un nouveau projet.
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Des entreprises dérivées financent la recherche
Une toute nouvelle chaire sera officiellement lancée en décembre à l'Université Laval. Spécialisée en optique photonique, elle sera financée par quatre entreprises, dont deux sont des sociétés dérivées des recherches menées dans le Département de physique, de génie physique et d'optique. La plus jeune, LaserAx, a été créée en 2010 par d'anciens étudiants du département pour utiliser une technologie d'optique photonique pour faire de la découpe au laser. «Aujourd'hui, même si nous continuons de faire de la R-D, la technologie est au point et nous la vendons au Québec et aux États-Unis», explique Alex Fraser, vice-président, technologie. LaserAx financera la chaire à hauteur de 25 000 $ par an pendant cinq ans. Une somme conséquente pour une PME de huit employés. Mais «comme ça, on pourra compter sur une équipe spécialisée qui a un équipement qu'on ne pourrait pas s'offrir en interne», poursuit Alex Fraser. Un «gros coup de main» dans l'innovation continue.
Cette participation des entreprises dérivées est une des retombées intéressantes pour l'Université Laval et son Programme pour l'avancement de l'innovation, de la recherche et de l'enseignement (PAIRE), qui consiste principalement à créer des chaires (68 depuis 2008). «L'année 2013-2014 a été une année record dans le nombre de nouvelles chaires ou de renouvellements, soit 19, ce qui représente un investissement de 22 millions», explique Sophie D'Amours, la vice-rectrice à la recherche et à la création de l'Université Laval.
L'intérêt de ce programme est de mettre en relation les équipes de recherche et l'industrie. L'objectif est atteint, selon Sophie D'Amours : «On voit l'accélération des retombées de la recherche : nous avons plus de 600 brevets, environ 150 licences de commercialisation. Les chaires nous donnent une proximité telle avec les entreprises que les transferts s'accroissent.»
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