Deux ans après avoir rentabilisé l'ancienne TQS, chaîne de télé historiquement déficitaire, Maxime Rémillard vient d'obtenir le feu vert du CRTC pour l'achat de MusiMax et Musique Plus, qu'il compte bien ramener vers la croissance. Un autre pari fou ? Vous n'avez rien vu encore. Car le patron du Groupe V Média entend doubler son chiffre d'affaires d'ici deux ans. Rencontre avec un entrepreneur aussi discret qu'ambitieux.
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On dit souvent que les chiens ressemblent à leur maître. Étonnant que celui de Maxime Rémillard soit un petit terrier blanc West Highland à l'allure de peluche vivante. Le contraste entre l'entrepreneur et le toutou, qui vient périodiquement réclamer sa dose d'affection pendant l'entrevue aux bureaux du Groupe V Média dans le Vieux-Montréal, est saisissant. L'homme de 39 ans est grand comme un joueur de basket, élégant comme George Clooney et, en affaires, il a la réputation d'être plus dur que tendre, même si son côté gentleman est reconnu. Peut-être que le chien rejoint la part sensible de celui qui aurait aimé être un artiste, un réalisateur.Pourtant, son héritage entrepreneurial l'a poussé à conjuguer la création aux affaires.
«Mon père [Lucien Rémillard, qui a fait fortune dans la gestion des déchets et possède le luxueux Hôtel Le St-James à Montréal] m'a inculqué l'esprit entrepreneurial. Mais je passe beaucoup de temps à regarder des films et des séries télé. Je suis un fou de contenu. C'est ce qui me motive chaque jour à bâtir une entreprise dans ce domaine. Après 15 ans en affaires, j'ai encore la capacité de regarder des oeuvres sans mon oeil plus critique de joueur de l'industrie. J'ai une grande capacité d'émerveillement», dit en souriant, le regard allumé, celui qui s'est d'abord investi dans la production cinématographique avec Remstar.
«C'est un créatif rationnel, dit Michel Bissonnette, président de Zone 3, qui produit Un souper presque parfait, Taxi payant et d'autres succès de V. Il se passionne pour le produit, sa culture télévisuelle est très vaste. Mais il ne fait rien sur un coup de coeur, il vérifie ses marchés. Chez les présidents en télé, il y a surtout du rationnel, alors que Maxime Rémillard a un sain équilibre entre la création et la gestion rationnelle. Et sa première passion, c'est le produit. Avant la gestion des revenus, les relations de travail, etc.»
Quand il a fait l'achat de TQS en 2008, avec son frère Julien et l'aide de sa famille, Maxime Rémillard, qui a étudié le cinéma à l'université de Californie du Sud, a mis toutes ses connaissances au service de l'image, qu'il voulait jeune, moderne et raffinée. En rebaptisant la chaîne V, il voulait offrir aux annonceurs et aux téléspectateurs un écosystème visuel haut de gamme. Il n'a pas hésité à s'ingérer dans la création.
«Je suis très fier du produit en ondes. Au début, il fallait implanter ma vision, communiquer mes objectifs, non seulement au sein de la direction, mais aussi chez les créateurs de nos contenus. Maintenant, avec la croissance de l'entreprise, j'essaie d'avoir une vision macro de notre plan d'affaires. On a mis en place une structure qui me permet de me concentrer sur la croissance plutôt que sur la microgestion des productions télé.»
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Beaucoup de place pour la croissance par acquisitions
D'ici deux ans, Maxime Rémillard ambitionne de faire passer le chiffre d'affaires du Groupe V Média de 100 millions de dollars à 200 M$. L'été dernier, il a racheté les parts de son frère, qui se consacre maintenant à l'immobilier, puis il a accueilli comme actionnaires la Caisse de dépôt et placement du Québec, le Fonds de solidarité FTQ et Investissement Québec. Objectif : faire passer la croissance à la vitesse grand V.
«Il y a des occasions dans le marché pour devenir le joueur indépendant le plus important du Canada. La moitié des joueurs au Canada sont des entreprises privées indépendantes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas dans des groupes intégrés verticalement (câblodistribution, diffusion, mobilité), donc il y a beaucoup de place pour la croissance par acquisitions», entrevoit l'homme d'affaires, qui aspire à acheter des entreprises autant en diffusion qu'en production de contenus visuels.
«Il faut gagner de l'envergure pour réussir à rentabiliser davantage nos contenus et rejoindre les annonceurs nationaux», dit l'entrepreneur, qui veut créer une plateforme de contenus à l'échelle du pays, dans les deux langues officielles.
L'achat tout récent de MusiMax et Musique Plus amorce la stratégie de croissance du Groupe V Média. Cela permet déjà de créer des synergies de contenus, tout en générant des économies d'échelle. C'est le plan pour en améliorer les cotes d'écoute et la rentabilité - les revenus publicitaires des deux chaînes étant en chute depuis 2008.
«Nous, on voit une occasion incroyable de relancer ces chaînes en apportant la culture de V et le type de contenus qu'on y a développé», affirme M. Rémillard, qui a connu le succès en offrant sur V une programmation axée sur le divertissement et la jeunesse, même aux heures où les concurrents présentent les bulletins d'information.
Il entend se servir des émissions phares, comme Allume-moi, destinée aux rencontres amoureuses et animée par l'humoriste Philippe Bond, pour en offrir des déclinaisons sur ses autres chaînes. Par exemple, après la diffusion sur V, les téléspectateurs qui en veulent davantage sont invités à syntoniser Musique Plus pour regarder les coulisses d'Allume-moi. Les fans ont aussi accès à des suppléments sur le Web.
En septembre, le patron de V a obtenu du CRTC un assouplissement des règles de diffusion, ce qui lui permettra de programmer d'autres types de divertissement sur ses chaînes musicales. Il y aura notamment plus d'humour, créneau salvateur maintenant que les vidéoclips se consomment beaucoup sur YouTube.
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Exporter la créativité
La vision d'avenir de Maxime Rémillard ne se résume toutefois pas à des synergies ni à des économies d'échelle. Ce qu'il souhaite, c'est d'élargir la portée de ses productions originales. Il évoque un centre de production bilingue ; car l'anglais permet de faire voyager les contenus et de prendre de l'envergure. Il est inspiré par le modèle israélien qui a, comme le Québec, un marché local fort et qui fait preuve de créativité, mais qui, de plus, connaît un grand succès d'exportation.
«On a tellement de créativité au Québec, on a des infrastructures de production de haut niveau et des producteurs très professionnels : on peut développer davantage de contenus ici pour les exporter. Certains, comme Attraction images, le font déjà, mais je pense qu'on peut intensifier ça.»
Redonner un souffle à Musique Plus et MusiMax, produire et exporter, tout en grandissant dans le marché canadien : personne ne doute aujourd'hui de la capacité de Maxime Rémillard d'atteindre ses objectifs.
«C'est un winner, dit son ami Richard Speer, président d'Attraction. C'est une force tranquille. Peu auraient parié sur lui à l'époque où il a acheté TQS, mais moi, il m'a toujours impressionné. Regarde la notoriété de sa marque aujourd'hui ! Et il est arrivé aux résultats.»
«Il a réussi remarquablement, renchérit Philippe Lapointe, vice-président, production et programmation chez Accessible Media, qui a lancé à V l'émission matinale Ça commence bien, alors qu'il était vice- président au développement des médias multiplateformes chez TC Media. L'ampleur de son succès fait oublier TQS. Il a réussi le "rebranding", ce qui est très difficile. En outre, il a atteint la rentabilité financière rapidement, alors que TQS avait à peu près toujours perdu de l'argent. Son frère et lui ont été courageux et audacieux. Visionnaires aussi. C'est assez rare en affaires.»
Pour ramener la rentabilité, les frères Rémillard avaient convaincu le CRTC de diminuer les exigences de diffusion de l'information. La salle des nouvelles de TQS a été fermée en 2008, 340 emplois ont été abolis, soulevant les critiques dans les médias et un long litige devant les tribunaux. Les anciens employés ont eu gain de cause l'été dernier, et V doit leur verser des indemnités de départ.
«Les gens leur criaient des noms dans la rue [en 2008], se souvient Philippe Lapointe, qui était alors président de la boîte de production Pixcom. L'environnement était hostile. Mais sans eux, la station complète fermait.»
«On ne voit pas les emplois qu'il ont sauvés en coupant. Ils ont assuré la survie de la station», ajoute Richard Speer.
«C'était lourd, se souvient Maxime Rémillard. C'est une industrie plus visible que d'autres. Dans une autre industrie, on aurait été moins sous les feux des projecteurs et ça aurait été perçu différemment.»
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Le visage discret de V
Au cours de cette période tumultueuse, le jeune entrepreneur s'est souvenu des leçons de persévérance de son père. Et surtout, il a choisi de se faire confiance, malgré tout.
«Il y a eu des moments au début de l'aventure de TQS où ma confiance a été ébranlée et où j'ai dû me rappeler que, peu importe le résultat, j'aurais au moins eu l'audace de croire en une vision d'affaires différente», raconte celui qui a misé sur la flexibilité et décidé de confier les productions de V à des sous-traitants, même les deux heures et demie d'informations hebdomadaires exigées par le CRTC.
Une source proche raconte que Maxime Rémillard est plus sensible qu'il n'en donne l'impression et que les critiques l'ont beaucoup atteint, lui qui n'a jamais voulu se placer dans l'oeil du public.
«J'ai un peu de timidité, concède Maxime Rémillard. Je ne suis pas très à l'aise devant les caméras, en entrevue ou en prononçant un discours. Je suis plus heureux, serein et efficace à travailler sur le plan d'affaires de l'entreprise.»
«Il est trop gêné ! estime l'animateur et producteur Éric Salvail. Je suis d'ailleurs surpris qu'il vous accorde une entrevue ! Je l'ai invité nombre de fois sur En mode Salvail et il n'a jamais voulu. Je lui dis souvent qu'il devrait aller dans les médias défendre son produit. Il a tout ce qu'il faut : il est beau, il est jeune, s'exprime bien et réussit. Il devrait représenter V.»
Éric Salvail, anciennement de TVA, aime beaucoup travailler avec Maxime Rémillard, qui l'a impressionné avec son audace et sa volonté d'expérimenter. De Grâce à lui, il réalise enfin son rêve d'animer un talk-show de fin de soirée. En tant que producteur associé à V, l'animateur se sent un véritable partenaire d'affaires. Il aime aussi la transparence et la proximité de sa relation avec le patron de la chaîne.
«Se permettre de dire ce qu'on pense à un employeur de cette envergure, ce n'est pas toujours facile. Avec lui, je n'ai pas ce souci. On a décidé qu'on se dirait les vraies affaires. Et c'est rare autant de transparence dans un milieu où il y a beaucoup d'hypocrisie.»
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Optimiser les moyens de production
Sympathique, honnête, gentleman, cultivé, audacieux et persévérant : le milieu télévisuel prête beaucoup de qualités à Maxime Rémillard. Mais derrière la gentillesse se cache un négociateur très dur. Tout ce qu'il peut faire pour économiser à la production, il le fait. Avec deux décors dans un même studio, les techniciens tournent les caméras et passent d'une émission à l'autre sans temps mort.
«C'est son argent, c'est un entrepreneur. Avec son frère Julien, il était très proche de ses dépenses et c'était dur, parce qu'il fallait justifier chaque sou. Mais c'est peut-être ce qui explique la réussite !» croit Philippe Lapointe, qui a connu cette austérité budgétaire du temps où il présidait Pixcom.
«Il a fallu apporter un regard neuf sur une industrie qui avait peu changé en 10 ans. La télé nord-américaine était faite d'une certaine façon. On a amené un nouveau regard sur ce modèle d'affaires et une de nos conclusions était que les moyens de production pouvaient être optimisés. On a rassemblé beaucoup de productions dans les mêmes studios avec les mêmes équipes et les mêmes équipements. Le coût horaire a diminué énormément. On va appliquer la même stratégie avec nos nouvelles chaînes», dit Maxime Rémillard.
Il affirme ne pas être au courant que son caractère économe suscite des plaintes chez certains employés des productions diffusées sur ses chaînes.
«La télé est en mutation. L'industrie change rapidement et on se doit d'innover dans nos méthodes. Il faut s'adapter, sinon le modèle ne survivra pas. Chaque diffuseur est confronté à cette réalité. Nous, on croit qu'on a le modèle d'affaires pour poursuivre notre croissance.»
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La croissance se fera aussi chez Remstar films, l'entreprise de production et distribution cinématographiques fondée en 1997 avec son frère Julien. Maxime Rémillard, maintenant seul maître à bord, entend mettre le pied sur l'accélérateur. Après une pause de quelques années, il y aura d'autres coproductions internationales de l'envergure de Head in the Clouds, avec Penelope Cruz et Charlize Theron, et de Mesrine avec Vincent Cassel. Et en distribution, l'entreprise qui a contribué au succès de Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée, prévoit davantage de sorties.
«Il y a une consolidation en cours. Il y a de plus en plus d'offres dans le cinéma indépendant américain qui peut rejoindre un public assez large, mais il y a peu de distributeurs au Canada. On voit une occasion d'aller chercher un créneau à nous», indique le passionné de cinéma.
Le grand rêve qui chapeaute sa vision d'entrepreneur ?
«J'aspire à contribuer à la création d'une oeuvre distribuée globalement, reconnue par le public et l'industrie. Un peu comme gagner un Oscar pour une production cinématographique est un rêve pour tous ceux qui travaillent dans l'industrie.»
Ses productions ont déjà remporté Jutra (Québec), Génie (Canada) et César (France). C'est donc à suivre...
Variation sur cinq ans, du nombre de téléspectateurs chez les 25-54 ans: 48% TVA:-13% SRC:-5%
Parts de marché chez les 25-54 ans en 2013-2014: 9,5 % TVA:23,1% SRC:12,7%
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