Un documentaire québécois primé à Vancouver dénonce le fait que 75 % des bénéfices des multinationales dans le monde sont à l'abri des impôts dans des paradis fiscaux et que les gouvernements de la planète n'ont pas encore fait front commun pour s'y attaquer.
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Intitulé Le prix à payer et réalisé par Harold Crooks (qui a écrit Survivre au progrès et The Corporation), le film prend l'affiche au Québec le 13 mars. Il démontre comment l'évitement fiscal, qui s'accentue avec l'avènement de l'économie numérique, a pour effet d'appauvrir les États et la classe moyenne.
La majorité d'experts qui témoignent dans le film ne sont pas des bien-pensants de gauche : il s'agit plutôt d'anciens acteurs de ce milieu, capables de briser l'omertà : l'un est un ancien dirigeant de la Banque nationale de Paris, un autre, de l'Inspection générale des finances en France, tandis que certains viennent de firmes influentes comme PriceWaterhouseCoopers et McKinsey.
Le témoin vedette du documentaire est nul autre que le directeur du Centre de politique et d'administration fiscales (CPAF) de l'OCDE, Pascal Saint-Amans, qui a réussi à convaincre les grandes places financières du monde à mettre fin au secret bancaire (en vigueur en 2017 et 2018) et qui veut changer les règles de fiscalité internationale et renforcer la coopération entre les États afin de rapatrier les impôts non payés.
C'est d'ailleurs le plaidoyer du film : il faut que soient alignées la localisation des bénéfices des multinationales avec celle de leurs activités.
«Le but de ce film est de faire comprendre aux gens les liens qui existent entre les paradis fiscaux et les politiques d'austérité que les États sont obligés d'adopter, parce qu'ils sont privés des revenus fiscaux», indique le réalisateur, en entrevue avec Les Affaires.
«Les paradis fiscaux ne sont pas illégaux, précise-t-il. Mais ils sont immoraux.»
Créés dans les années 1950 par les banquiers de la City de Londres, ceux-ci avaient d'abord pour but d'enrayer la double taxation dans le secteur manufacturier, poursuit Harold Crooks. «Mais maintenant, ils permettent aux multinationales de n'être taxées nulle part ou presque.»
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Aggravation numérique
Son film avance que l'économie numérique empire les choses. Apple, Google et Amazon, par exemple, rendent obsolètes beaucoup d'emplois tout en ne payant pas d'impôt là où elles ont des utilisateurs.
Donc, elles ne jouent pas leur rôle pour aider les populations à s'adapter à la nouvelle économie. Car privés d'impôts, les gouvernements font des compressions dans les services.
En outre, les abris fiscaux poussent les États à se concurrencer entre eux à coup de réductions fiscales pour attirer les multinationales, allègue-t-on dans le film.
L'idée du documentaire est née d'un livre écrit par la fiscaliste québécoise Brigitte Alepin et repris par la productrice Nathalie Barton, de la maison de production de films montréalaise InformAction. «Nathalie m'en a parlé et j'ai sauté dans le projet», relate M. Crooks, qui a lui-même une maîtrise en économie.
Le réalisateur dit croire que les choses changeront bientôt. «Il y a déjà la Google Tax du gouvernement Cameron au Royaume-Uni et la publication du rapport de l'OCDE prévue cette année», signale-t-il. En effet, le CPAF de l'OCDE doit remettre ses recommandations au G20 en septembre 2015. Elles porteront sur des moyens pour «lutter contre l'érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices», précise son directeur, Pascal Saint-Amans, dans un courriel à Les Affaires.
Aux États-Unis, le leader du Parti démocrate à la Chambre des représentants vient de proposer une taxe sur les transactions financières. «Le vent tourne, affirme Harold Cooks, et mon film est dans cette mouvance.»
70 %: Pourcentage des entreprises du Fortune 500 qui ont recours à des abris fiscaux. Source : Rapport «Offshore Shell Games 2014», de U.S. PIRG Education Fund et Citizens for Tax Justice
1,95: Rien de moins que 1,95 billion de dollars américains sont l'abri de l'impôt aux États-Unis. Cette somme a été accumulée par les 307 plus grandes entreprises inscrite à l'indice du S&P, dont Apple. Source : Bloomberg News, mars 2014
30,8: Les bénéfices totaux de Gildan avant impôt s'élevaient à 1,97 milliard de dollars américains, et la charge d'impôt sur le résultat totalisait 30,8 millions de dollars américains, soit 1,56 %. Selon Canadian Business, 70 % des ventes de Gildan sont comptabilisées à la Barbade, où l'impôt sur le revenu est de 1,5 % à 2,5 %. Source : Gildan
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