Le client est là, prêt à payer. Que ce soit un tout nouveau client, qui vient de signer un contrat, ou un habitué, avec qui vous avez noué une relation solide au fil des ans, la dernière chose que vous voulez, c'est de lui annoncer que vous ne pourrez pas lui livrer sa commande comme prévu. Encore moins si votre fournisseur est responsable du retard, et non vous !
Pour éviter ce genre de situation, des entreprises travaillent étroitement avec ceux qui les approvisionnent en matières premières, en composantes, en produits à distribuer et en autres intrants. Les spécialistes de Rona et du Groupe Canam, respectivement 12e et 101e au classement des 500 plus grands employeurs du Québec, de même que des experts en la matière, partagent avec nous leur stratégie pour prévenir plutôt que guérir.
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1. RONA : MISER SUR UN GRAND ÉVENTAIL DE FOURNISSEURS
Grève et menace d'arrêt de travail chez les transporteurs ferroviaires CP et CN. Possibilité de débrayage également chez les camionneurs au Port de Vancouver. Sans oublier les immenses tempêtes de neige qui ont frappé le nord-est américain et perturbé le transport de marchandises. Pour un détaillant comme Rona, qui s'approvisionne d'un océan à l'autre au Canada, ainsi qu'aux États-Unis et en Asie, les derniers mois n'ont pas été de tout repos.
«Ça donne des sueurs froides», reconnaît Richard Brouillette, vice-président, distribution et logistique chez ce géant canadien de la distribution d'articles de quincaillerie et de matériaux de construction. Malgré ces incertitudes, Rona se dit prête à faire face aux enjeux liés aux risques d'approvisionnement. «Une entreprise n'est jamais 100 % à l'abri, mais elle doit être en mesure de parer à toute éventualité», souligne Richard Brouillette, qui dirige notamment une centaine de spécialistes, parmi lesquels des approvisionneurs et des analystes qui observent les tendances et les goûts des consommateurs, puis planifient les achats.
Il y a plus de cinq ans, Rona créait une nouvelle vice-présidence à la gestion de la chaîne d'approvisionnement afin d'optimiser l'ensemble de son réseau d'approvisionnement et de distribution. Ce qui l'a amenée à se doter d'une équipe plus spécialisée en approvisionnement, mais aussi de nouveaux logiciels d'information visant à mieux gérer les achats et les inventaires. «Il faut prévoir adéquatement les besoins des consommateurs et des magasins, et s'assurer de les approvisionner au moment opportun», dit Richard Brouillette, en précisant que l'entreprise conserve des stocks de 8 à 12 semaines, selon les produits, afin de «maintenir le rythme de vente en cas d'imprévus».
Plus de 30 000 produits
La gestion des risques d'approvisionnement est d'autant plus importante que le réseau de plus de 500 magasins offre à la clientèle quelque 32 000 articles de quincaillerie et 1 000 types de matériaux de construction. Rona, qui exploite neuf centres de distribution au pays, compte 2 000 fournisseurs, dont près de 400 assurent la plus grande part de son volume d'achats annuel.
«Nous avons un vaste éventail de fournisseurs, ce qui nous permet de limiter les risques. Pour certains produits critiques, nous avons des fournisseurs alternatifs qui pourraient combler nos besoins en cas de problèmes.» L'entreprise de Boucherville a même une antenne chinoise, alors que son bureau d'achats, implanté à Shanghaï en 2008, vise à mieux gérer ses importations de produits et à se rapprocher des fournisseurs.
Chez Rona, la planification de l'approvisionnement se fait selon un échéancier de 9 à 12 mois. «Nous établissons des calendriers qui tiennent compte des impondérables.» Les délais d'approvisionnement, par exemple, ne sont pas les mêmes si les produits viennent d'Asie, des États-Unis ou du Canada. S'il y a une grève dans l'industrie ferroviaire, le quincaillier se tournera alors vers le transport par camions, une solution qui n'entraînera «pas de délais de livraison, mais coûtera plus cher», indique Richard Brouillette.
Enfin, Rona établit aussi des partenariats avec ses principaux fournisseurs notamment pour éviter des ruptures de stock ou une variation imprévue du prix des marchandises. «Il faut bien connaître ses fournisseurs, travailler de près avec eux. Nous avons régulièrement des échanges pour les informer de nos plans à court, moyen et long terme.» L'entreprise s'assure du même coup de mesurer leur performance, en tenant compte entre autres de la qualité des produits et des délais de livraison.
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2. CANAM : NOUER DES RELATIONS DE CONFIANCE AVEC LES PRODUCTEURS D'ACIER
Mike Burnet, vice-président aux approvisionnements du Groupe Canam, n'hésite pas à sauter régulièrement dans l'avion pour discuter en personne avec ses fournisseurs. En mars dernier, par exemple, il était à Chicago pour rencontrer trois des plus importants fournisseurs d'acier du fabricant beauceron de structures métalliques.
«Les relations avec les fournisseurs sont très importantes. C'est comme un mariage. Ce sont des partenaires avec lesquels il faut développer et entretenir des liens de confiance à long terme», illustre celui qui s'est joint à Canam en 2007 après avoir travaillé quelque 25 ans dans l'industrie de l'acier. En effet, si les relations ne sont pas au beau fixe, «un producteur peut décider de ne plus nous vendre d'acier, ou nous de ne plus lui en acheter», précise Mike Burnet. Les échanges entre le fabricant et les producteurs d'acier portent aussi sur des façons de réduire les coûts, notamment en analysant ceux liés au transport.
Canam dépense en moyenne 500 millions de dollars par an pour l'achat d'acier, ce qui représente environ 80 % de ses coûts. «C'est majeur, d'où l'importance d'avoir une bonne stratégie d'approvisionnement et de minimiser les risques», indique Marc Dutil, son président et chef de la direction.
Les discussions tenues à Chicago en mars visaient justement à conclure des ententes qui garantiront un approvisionnement à long terme et à bon prix, même en cas de changements dans la demande mondiale d'acier. Les producteurs d'acier veulent pour leur part pouvoir compter sur Canam quand le fabricant passera des commandes. «Nous devons absolument nous assurer de ne pas manquer d'acier quand la demande est plus importante», explique Mike Burnet, qui affirme n'avoir justement jamais été confronté à ce problème.
Car l'acier, produit entre autres par des géants comme Arcelor Mittal et U.S. Steel, est l'un des métaux les plus chers et les plus convoités sur le marché. Son prix, qui approchait 450 dollars américains la tonne l'automne dernier, son plus haut niveau en trois ans, est dépendant de la conjoncture économique et de la demande industrielle de secteurs tels que l'automobile, la construction et l'énergie. «S'il arrive que les usines d'acier ne puissent plus fournir, on peut toujours se tourner vers des entreprises de distribution d'acier», indique Marc Dutil, qui exploite 22 usines en Amérique du Nord et emploie plus de 3 900 personnes au Canada, aux États-Unis, en Roumanie, en Inde et à Hong Kong.
Des achats planifiés plusieurs semaines à l'avance
Pour minimiser les risques d'approvisionnement, de même que ceux liés aux variations de devises ou de prix, Canam veille entre autres à bien gérer ses stocks. Ainsi, l'entreprise garde à portée de la main certains articles dont elle a toujours besoin, comme des cornières qui servent à fabriquer des poutrelles. «Quand les prix de l'acier baissent, nous réduisons les inventaires. À l'inverse, si on s'attend à une hausse des prix, on augmente les inventaires pour s'assurer d'être concurrentiels dans le marché», dit Mike Burnet. Les prévisions d'achat de Canam sont réalisées en analysant notamment l'historique des cinq dernières années. Elles tiennent aussi compte des délais de livraison, qui varient de 6 à 12 semaines.
L'entreprise doit également planifier l'achat d'autres produits qui nécessitent un approvisionnement plus ponctuel. Dans le cas du contrat de plus de 200 millions de dollars canadiens pour la construction du stade de l'équipe de football des Falcons d'Atlanta, décroché l'automne dernier, la beauceronne n'a pas attendu de conclure la transaction pour établir ses besoins et la disponibilité de l'acier nécessaire à la construction. «Plus de 90 % du travail a été fait avant de signer l'entente», indique le grand patron des achats.
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3. LA GESTION DE L'APPROVISIONNEMENT, UNE QUESTION DE RENTABILITÉ
L'approvisionnement devrait occuper une place stratégique dans la gestion des sociétés. Or, «beaucoup d'entreprises sous-estiment les risques et ont tendance à ne s'en occuper que lorsque les problèmes surgissent, donc trop tard», constate Nathalie Brunet, première directrice, conseils et transactions au cabinet PwC, et spécialiste en gestion opérationnelle de la chaîne d'approvisionnement.
Jérôme Thirion, associé chez KPMG et responsable de la pratique nationale en approvisionnement au sein de cette firme, abonde dans le même sens. «Les entreprises sont très concentrées sur les opérations et négligent trop souvent la fonction approvisionnement.» Pourtant, une entreprise doit s'assurer de la qualité et de la disponibilité de ses produits, sinon sa clientèle lui fera faux bond au profit d'un concurrent.
Une gestion efficace de l'approvisionnement joue d'ailleurs un rôle majeur dans la rentabilité. Une enquête internationale menée par PwC en 2012 auprès de 503 dirigeants nord-américains, asiatiques et européens montre que les organisations dont la chaîne d'approvisionnement est performante enregistrent aussi les meilleurs résultats financiers. Les répondants qui considèrent l'approvisionnement comme un atout stratégique génèrent un bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) supérieur de 30 % à la moyenne avec quasiment deux fois moins de stock, précise l'étude.
Les sociétés ont évidemment intérêt à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier. En ayant plusieurs fournisseurs, elles sont moins à risque si l'un d'eux décrète une hausse soudaine de prix ou cesse de fabriquer un produit.
Elles doivent aussi établir des relations stratégiques avec leurs principaux fournisseurs. «L'approvisionnement, ce n'est pas simplement faire un appel d'offres. Il faut également créer des partenariats qui permettent justement de minimiser les risques», suggère Jérôme Thirion, en précisant que les entreprises doivent aussi mesurer leur performance.
La mondialisation des marchés a d'autre part rendu les chaînes d'approvisionnement plus vulnérables. «Une entreprise qui s'approvisionne en Chine, par exemple, doit passer par un plus grand nombre d'intermédiaires. Les risques liés à la logistique ou au contrôle de la qualité sont plus grands», souligne Ygal Bendavid, professeur au Département de management et technologie de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. Encore là, il est important de compter sur plusieurs fournisseurs afin de contrer des problèmes potentiels de livraison. Ygal Bendavid note par ailleurs que des organisations nord-américaines ont cessé de s'approvisionner en Chine, en partie ou totalement, afin d'atténuer ces risques. D'autres, comme Rona, ont plutôt implanté un bureau en Chine afin de mieux les gérer.
Cette complexification de la chaîne d'approvisionnement devrait inciter les entreprises à recruter des spécialistes. Elles peuvent aussi miser sur les nouvelles technologies de l'information, comme les marqueurs RFID qui peuvent être utilisés pour la traçabilité des marchandises.
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