C’est suite à un échange sur Twitter que j’ai découvert qu’il y avait au moins un transhumaniste au Québec. Il s’agit de Yannick Roy qui, tout en faisant un doctorat en neurosciences à l’Université de Montréal, a trouvé le temps de lancer deux regroupements qui s’intéressent à des domaines de prédilection des transhumanistes. Il s’agit de BCI Montréal, qui s’intéresse aux interfaces cerveau-ordinateur, et Noos Montréal, qui regroupe pour sa part des «futuristes» adeptes de nootropiques, entre autres choses.
« J’adore l’idéologie du transhumanisme, qui favorise l’augmentation de l’humain avec la technologie et, oui, je trouve qu’on devrait s’implanter un tuyau dans le cerveau si ça augmente notre performance intellectuelle », lance le jeune homme de 28 ans, qui soutient que sa génération est perméable aux idées mises de l'avant par le transhumanisme.
Malgré tout, il reconnaît que nombre de ceux qui partagent ses idées ne veulent pas s’afficher comme transhumaniste, notamment en raison de la dimension quasi religieuse du mouvement transhumaniste, qu’il rejette lui aussi. Bref, Yannick Roy ne pense pas qu’il pourra se vivre éternellement sur le Web comme Martine Rothblatt, pas plus qu’il rêve de l’arrivée au pouvoir d’une élite transhumaniste.
Cependant, Yannick Roy considère que plusieurs des enjeux mis de l’avant par les transhumanistes devraient être débattus sur la place publique plutôt que d’être balayé sous le tapis. Selon lui, les incidents liés au port des Google Glass à San Francisco constituent un avant-goût des conflits à plus grande échelle qui pourraient éclore dans le futur.
Déjà, les téléphones intelligents et les ordinateurs corporels (wearables computers) occasionnent une perte de vie privée, tant pour leurs adeptes que pour les autres. En échange, ils permettent à leurs utilisateurs de communiquer plus facilement, ainsi que de comprendre davantage leur environnement et leur corps.
Smart drugs
Les smart drugs, pour leur part, permettent d’augmenter la performance intellectuelle de leurs utilisateurs, mais affectent parfois leur santé, et sont susceptibles de créer un cercle vicieux dans les milieux ultra-compétitifs comme celui des universités ou de certains milieux professionnels. Dans ces milieux, comme dans les sports où l’utilisation de stéroïdes est omniprésente, l’utilisation de smart drugs pourrait devenir la norme, exposant tous ses acteurs à des effets nocifs.
« Dans le sport, on prend des drogues qui compromettent notre santé pour une performance qui relève essentiellement du spectacle, alors qu’en augmentant notre intellect, on peut avoir un véritable apport dans le développement de la technologie et des connaissances », fait valoir Yannick Roy. L’argument tient la route lorsqu’on parle d’une équipe de chercheurs dopés aux amphétamines pour développer un remède contre le cancer, mais moins lorsqu’on parle d’étudiants en administration prêts à tout pour décrocher un stage chez McKinsey.
Du reste, Yannick Roy dit se tenir loin des smart drugs comme les amphétamines et les adderalls, dont les effets secondaires sont importants. Il expérimente plutôt avec les nootropiques, une catégorie de substances supposées augmenter les capacités cognitives, mais ayant peu ou pas d’effets nocifs sur la santé. En font notamment partie le piracétam (ainsi que toute la famille des racétam) et des produits naturels comme le ginkgo biloba.
Si Yannick Roy prend soin de sa santé, c’est qu’il espère vivre en santé jusqu’à 100 ans, un objectif pour le moins raisonnable pour un transhumaniste. Après tout, l’associé principal de Google Ventures Bill Maris, qui injecte des dizaines de millions dans des start-ups susceptibles d’allonger l’espérance de vie, a déclaré que l’humain pourrait un jour vivre jusqu’à 500 ans. Et c’est sans parler de Aubrey de Grey, un gérontologiste particulièrement apprécié par les transhumanistes, qui a dit que l’humain qui allait vivre jusqu’à 1000 ans était déjà né.
Hacker le cerveau
Yannick Roy, du reste, s’en remet également à son champ d’études, les neurosciences, pour augmenter ses capacités intellectuelles. Il faut dire que sa thèse de doctorat porte sur le neurofeedback, qui consiste à apprendre à contrôler son activité cérébrale grâce à la représentation du signal électrique de son cerveau affiché sur un écran.
Cette approche, dont l’efficacité a été prouvée pour traiter le déficit de l’attention, est reprise par de nombreux bien portants qui souhaitent augmenter leur performance intellectuelle ou seulement apprendre à relaxer. Pour ce faire, ces derniers se rabattent sur des casques d'électro-encéphalographie (EEG) comme le Muse et le NeuroSky, qui viennent avec des jeux auquel on peut jouer avec notre pensée, en modifiant l’activité électrique de notre cerveau.
Yannick Roy s’intéresse à cette avenue, mais dit faire attention aux raccourcis intellectuels : « Même s’il y a un fondement scientifique, il faut garder en tête que les études ont été faites sur des patients avec de l’équipement coûtant des dizaines de milliers de dollars, et non avec des casques à 100$ », lance-t-il.
Yannick Roy s’intéresse aussi à la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS), qui consiste à s’administrer un courant électrique sur le front afin de stimuler la partie avant de son cerveau, qui serait le siège de la résolution de problème, entre autres choses. Alors que certains se branchent littéralement des batteries 9 volts sur le front, d’autres se procurent des casques comme le foc.us.
Yannick Roy m’a confié avoir un casque du genre, mais ne pas l’avoir encore essayé, faute de temps pour lire davantage d’études sur le sujet. « Il y a un fondement scientifique à ça, mais le problème, c’est qu’on ne peut pas savoir par où le courant passe une fois dans le cerveau ; aussi, c’est possible que ça inhibe la région qu’on aurait voulu excité », explique doctorant en neuroscience, qui aimerait concevoir un casque tDCS qui adapterait son action au signal électrique du cerveau, grâce à des capteurs EEG. La fin de semaine prochaine, à l’ÉTS, un hackathon qu’il a aidé à mettre sur pied permettra d’ailleurs à quelque 150 participants d’expérimenter avec les interfaces cerveau-ordinateur.
Une fracture inévitable?
Bref, le futur entrevu par Yannick Roy semble pour bientôt, s’il ne nous a pas déjà rattrapés. Dans les faits, le risque de voir émerger deux catégories de professionnels, de chercheurs et d’étudiants ne dépend pas de technologies radicales. En effet, il semble que les transhumanistes n’auront pas besoin de recourir à la modification du génome au niveau de l’embryon (pour créer des enfants plus intelligents), à l’électroencéphalographie intracrânienne (qui permet une lecture beaucoup plus fine de l'activité électrique du cerveau) ou à l’amputation volontaire (pour remplacer un membre biologique par un membre bionique plus performant) pour commencer à distancier les autres.
Qui sait, peut-être aurez-vous un jour à travailler aux côtés de Yannick Roy… dans un cadre compétitif. Aussi, après avoir pris un café avec lui, j’ai eu du mal à me débarrasser du sentiment qu’il sera difficile de se dérober au futur entrevu par les transhumanistes, où ceux qui refusent d’embrasser des technologies de plus en plus intrusives pourraient être condamnés à regarder passer la parade. À moins, bien sûr, d’être Vincent Freeman (Ethan Hawke) dans Gattaca.