Le sport national des Québécois est de critiquer la Caisse de dépôt, a dit jeudi matin un journaliste en conférence de presse. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais force est d'avouer qu'on ne trouve pas beaucoup de pots à lancer à l'institution cette année. Michael Sabia, qui dit ne jamais utiliser le mot "satisfait", devrait l'utiliser.
La Caisse rapporte un rendement de 13,6% pour l'exercice 2010 (14,3% pour la Régie des rentes). C'est un résultat parmi les meilleurs au pays. La médiane des régimes de retraite de plus d'un milliard $ au Canada est à 11,25% et le premier quartile démarre à 11,89%, selon RBC Dexia. En fait, la Caisse est à la porte du 5% des meilleurs régimes au Canada.
D'où vient la performance et certaines nuances
Une bonne partie de la "surperformance" vient de catégories d'actifs dont ne bénéficient pas les autres régimes de retraite.
Ainsi, le secteur des prêts mezzanines, qu'on est en train de fermer aux États-Unis, a rebondi, et permis au secteur de la dette immobilière d'afficher un +17%.
Même chose du côté des infrastructures où le rendement atteint 25,4%.
Et que dire des placements privés dont le rendement atteint 26,7%.
Non seulement ces rendements sont impressionnants, mais ils sont aussi surprenants, en ce qu'ils battent respectivement leurs indices de référence par 10, 14,1 et 24,7 points d'écart!
Des motifs techniques peuvent parfois expliquer en partie l'écart avec les indices. Dans le portefeuille dettes immobilières, où se trouve de la dette hypothécaire ordinaire et du prêt mezzanine (garantie de second rang), le prêt mezzanine de la Caisse pèse en effet plus que dans l'indice (33% contre 10%). Dans le placement privé (l'incroyable écart de 24,7% avec l'indice!), une période d'évaluation différente est en cause. Cette période d'évaluation avait l'an dernier nui à la Caisse, elle l'a cette année fortement aidée.
Pour expliquer l'écart de performance (avec les indices et les pairs), on n'écarterait pas non plus la possibilité que la Caisse ait "optimisé" certaines évaluations cette année, après avoir été très conservatrice dans le passé. Le fait de descendre au plus bas la valeur de certains actifs quand ça va mal (comme en 2008, ou en 2009 dans le mezzanine), permet de gagner des points de rendement sur les autres quand leur valeur remonte à la faveur d'un retour de cycle porteur. Non, gens de la Caisse, on ne dit pas que les valeurs actuelles ou passées sont incorrectes. On dit simplement que dans une fourchette d'évaluation raisonnable on a peut-être eu tendance à jouer le niveau "conservateur-ultra-prudent" quand ça allait mal et que maintenant on est passé à un niveau "conservateur-prudent".
Somme toute très bon
Même en tenant compte de ces réserves, la performance de la Caisse demeure difficilement attaquable.
Sur les 11 portefeuilles de gestion active qu'elle exploite, 9 battent leurs indices de référence. Tous les portefeuilles de gestion indicielle (6) font pendant ce temps aussi bien que l'indice.
Une légère déception est sur le portefeuille des actions canadiennes - le plus lourd des portefeuilles après celui des obligations - qui fait moins bien que son indice par deux points de pourcentage (15,7% contre 17,6%). On n'en tiendra cependant pas trop rigueur à la Caisse. Depuis cinq ans, cette équipe bat son indice de référence avec un écart de 1,5 point à chaque année. Cette année d'ailleurs, bien peu de caisses de retraite ont réussi à battre l'indice parce qu'elles jouent généralement les grandes capitalisations (comme la Caisse) et que ce sont les petites qui ont donné de l'élan
Tout cela grâce à monsieur Sabia?
En partie, mais pas totalement.
Il est encore un peu tôt pour juger. En appelant la Caisse à se concentrer sur ses forces et à délaisser les produits qu'elle comprenait moins, M. Sabia semble l'avoir amenée à augmenter ses pondérations dans des véhicules qu'elle maîtrise mieux. Il a probablement aussi fait en sorte qu'en étant moins éparpillée, elle peut réagir avec plus de souplesse et de force en anticipation d'événements. Son choix de Roland Lescure comme stratège en chef apparaît de même avoir rapporté quelques fruits. La Caisse a bien joué cette année en abaissant en début d'année sa pondération dans les actions de manière à ne pas être trop exposée à la crise du crédit sur les marchés européens, puis elle s'y est repositionnée à la faveur de la reprise.
Une partie du rendement provient cependant aussi simplement d'un redressement général du marché, sur lequel monsieur Sabia n'a pas de pouvoir. Il profite du fait d'être arrivé au moment où tout était à plat.
La Caisse a-t-elle rattrapé le terrain perdu?
Non. Pas encore. De manière simplifiée, la situation est la suivante. En 2008, elle avait laissé aller 40G$ (-25%). En 2009, elle avait récupéré 12 G$ (+12%). Cette année, elle vient d'en retrouver 18G. Il reste donc toujours 10G $ à récupérer pour retrouver le niveau de la fin 2007.
Y parviendra-t-on en 2011?
Bonne question. Monsieur Sabia est bien conscient qu'il s'engage sur une route où la visibilité est restreinte. Il ne l'a pas caché en conférence de presse, alors qu'il a indiqué que les défis sont toujours nombreux cette année, avec le Moyen Orient qui menace de s'embraser et la sortie de l'assouplissement quantitatif aux États-Unis.
Il se pourrait bien que 2011 soit encore porteuse, mais plusieurs estiment aussi que le risque de correction des marchés va en s'accentuant. C'est à ce moment que l'on verra avec quelle efficacité répondront les mécanismes de contrôle du risque mis en place par le nouveau président et que l'on sera plus à même de juger de son œuvre.
En attendant, pour 2010, s'il refuse d'être satisfait, nous le sommes.
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