Comment le gouvernement fédéral pourrait-il mettre 1 G$ US dans Bombardier(Tor., BBD.B) sans que la famille Bombardier-Beaudoin ne perde le contrôle et sans que le titre ne recule davantage?
La sortie, cette fin de semaine, du ministre de l'économie du Québec, Jacques Daoust, nous a jeté dans la confusion la plus totale. Monsieur Daoust demande qu'Ottawa pose un geste apparenté à celui de Québec et se commette également pour une aide de 1 G$ US à Bombardier.
Comment au juste peut-on rentrer cette aide supplémentaire dans la société tout en réalisant deux objectifs principaux:
1- Maintenir la famille Bombardier-Beaudoin aux commandes (objectif non avoué par Québec);
2- Faire en sorte que cette nouvelle injection n'entraîne pas l'action de Bombardier dans un nouveau piqué, qui viendrait torpiller la confiance.
Explication de la situation.
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Nombre de critiques ont fusé la semaine dernière à l'effet que le gouvernement ne savait pas négocier et s'était fait passer un sapin par Bombardier.
Notre lecture de la situation est plutôt inverse. Le gouvernement du Québec sait négocier et savait qu'il se faisait passer un sapin. Il a simplement voulu laisser le contrôle à la famille Bombardier-Beaudoin. (L'utilisation de l'avenue société en commandite-options permet à la famille de conserver 51,5% des votes si les options sont exercées à 2,21$; le contrôle aurait été perdu avec une injection uniquement dans la société mère).
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Avant que tout le monde ne déchire à nouveau sa chemise, dépêchons-nous d'ajouter que si le motif de la manœuvre (laisser le contrôle à la famille Bombardier) est difficile à défendre, après réflexion, l'opération est probablement finalement quand même celle pour laquelle il était préférable d'opter.
Le titre de Bombardier a reculé sur la nouvelle, la semaine dernière. Il aurait reculé nettement plus que cela si le gouvernement avait choisi d'investir directement dans la société mère.
Voici pourquoi.
Le modèle d'évaluation le plus courant de Bombardier consiste à attribuer une valeur à chacune de ses divisions. Il y a la division Transport (trains), la division ingénierie et aérostructures (pièces), la division des avions d'affaires et la division des avions commerciaux.
La division des avions commerciaux comprend les jets régionaux et le projet CSeries. À ce jour, plusieurs analystes lui attribuaient une valeur relativement près de zéro. En injectant 1,3 G$ dans une société en commandite pour le CSeries, Québec obtient une participation de 49,5% dans les bénéfices futurs du CSeries. Le gouvernement prive donc Bombardier de 49,5% de la valeur du projet. Mais, comme ce projet était déjà évalué à zéro dans les évaluations, il ne la prive de rien.
Si l'injection avait par contre été directement placée dans la société mère Bombardier inc., le nombre d'actions de Bombardier aurait augmenté de près de 40% (au cours récent de l'action de 1,45$), ce qui serait venu diluer la valeur par action des autres divisions. Le milliard ajouté par le gouvernement n'aurait pas été pris en réelle considération par le marché comme bonification de la valeur du projet CSeries puisqu'il doit être dépensé sans que l'on soit certain du résultat. Du coup, le titre de Bombardier serait vraisemblablement tombé sous les 1 $, 40% sous le 1,38$ auquel il cote actuellement.
Une situation nettement susceptible d'exacerber les tensions et de clouer le cercueil de la poursuite du projet CSeries. Avec un financement survenu il y a à peine huit mois à 2,21$ (1,1 G$), le focus du marché et des acheteurs d'appareils aurait vraisemblablement été sur cette dégelée boursière. Rien pour ramener la confiance. Étant donné la force de la chute et sa rapidité (qui aurait été de 60% en à peine huit mois contre 37,5% aujourd'hui), des poursuites d'investisseurs frustrés n'auraient pas manqué de surgir, amenant de nouvelles menaces de morsures dans la trésorerie déjà affaiblie de l'entreprise.
Ce qui nous ramène à Ottawa
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Ce qui nous ramène à Ottawa
Ce qui nous ramène à la question initiale. Comment le fédéral peut-il égaler la contribution de Québec tout en laissant le contrôle à la famille (c'est ce que souhaite Québec) et sans faire plonger le titre.
Rentrer ce milliard dans le capital de la société mère n'est évidemment pas une option (chute automatique sous les 1$).
Le rentrer dans la société en commandite sous forme d'actionnariat (comme Québec l'a fait) n'a pas plus de sens. L'opération ferait en sorte que Bombardier perdrait toute son exposition au projet CSeries.
Y aller d'un prêt traditionnel additionnel à Bombardier n'apparaît pas non plus une avenue de solution, puisque les syndicats bancaires s'opposeraient vraisemblablement à l'alourdissement de la dette de la société mère.
Comment alors?
Deux voies semblent envisageables.
1-Le remplacement d'une ligne de crédit non utilisée de 1,3 G$ US. La ligne est actuellement disponible, mais soumise à une échéance qui viendra un jour. Son renouvellement n'est pas garanti. Si elle était sécurisée par le gouvernement, les capacités financières de Bombardier seraient mieux assurées.
2-L'éditeur émérite du journal, Jean-Paul Gagné, avançait aussi lundi, lors d'une discussion à bâtons rompus, qu'Ottawa pourrait peut-être y aller de prêts à la société en commandite, remboursables, mais en fonction de la rentabilité. Il se fait de l'argent, le prêt est remboursé, il ne s'en fait pas, il n'y a pas de remboursement.
C'est cette deuxième option que pourrait bien souhaiter monsieur Daoust. La semaine dernière, Bombardier a indiqué que le 1 G$ US qu'elle s'engageait à investir dans les prochaines années dans la société en commandite pour conserver son intérêt viendrait diluer la participation du gouvernement du Québec. Le ministre préférait plutôt de son côté parler de la possibilité que Bombardier n'ait pas à sortir de la société mère ce milliard de dollars et qu'il soit plutôt financé par dette.
Si cette option est celle en vue, et on croit que c'est le cas, la seule interrogation qui reste est de savoir à qui irait la valeur des brevets du CSeries en cas d'échec du projet. Aux actionnaires Bombardier-Québec ou au créancier Ottawa?
Bref, que le fédéral dise oui ou non à Bombardier, il semble y avoir ici le germe d'une nouvelle pomme de discorde Ottawa-Québec.
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