La partie parfaite de Sabotage Studio

Offert par Les Affaires


Édition du 13 Mai 2020

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Édition du 13 Mai 2020

«Sea of Stars» emprunte largement aux jeux vidéo des années 1990, alors que le 2D et le 16 bits étaient la norme. (Photo: courtoisie)

FOCUS RÉGIONAL: CAPITALE-NATIONALE. Grâce à un effort savamment orchestré, un petit studio indépendant de Québec versé dans le rétroludique concrétise la campagne de sociofinancement la plus réussie de l'histoire du jeu vidéo au Canada.

Pour soutenir la production de son nouveau jeu «Sea of Stars», qui doit sortir sur PC et consoles en 2022, Sabotage Studio demandait 133 000 $ sur la plateforme Kickstarter. C'était le 19 mars. Au terme de la campagne, un mois plus tard, le studio indépendant du quartier Saint-Roch, à Québec, avait récolté 1 628 126 $, soit plus de douze fois son objectif initial.

L'exploit a fait grand bruit : jamais un jeu vidéo développé au Canada n'avait aussi bien réussi sur la populaire plateforme de sociofinancement. Manifestement, les nombreux adeptes du 10e art ont été enchantés par la proposition de Thierry Boulanger et de sa petite équipe de 16 employés. «Ça a pris à peine six heures à atteindre notre premier objectif. Nous savions alors que nous allions frapper un coup de circuit», se souvient le président de Sabotage Studio.

Ce tour de force est d'autant plus remarquable que «Sea of Stars» emprunte largement aux jeux vidéo des années 1990, alors que le 2D et le 16 bits étaient la norme. Dans les séquences cinématiques intrajeu dévoilées par Sabotage, on y voit des personnages qu'on dirait tout droit sortis de titres lancés il y a plusieurs décennies, comme «Chrono Trigger» (1995) et «Golden Sun» (2001). Ce jeu vidéo de rôle à forte tendance rétroludique est axé sur les combats au tour à tour et l'exploration d'un monde échafaudé des années durant par Thierry Boulanger.

«C'est l'histoire de deux enfants du Solstice qui s'embarquent dans une quête épique et fantastique [...] Nous misons sur une esthétique d'antan, mais avec des mécaniques de jouabilité et de mise en récit modernes», explique le président de Sabotage Studio.

Dominic Bourret, copropriétaire de la boutique Retro Mtl, une boutique spécialisée dans la vente et l'achat de jeux vidéo rétro, n'est pas surpris outre mesure par l'enthousiasme généré par «Sea of Stars». L'engouement pour les jeux anciens remis (ou non) au goût du jour s'affirme depuis quelques années déjà sur la planète jeu vidéo, explique celui qui est connu sous le nom de Papa Cassette dans la communauté des rétrojoueurs.

«Nous cherchons tous, jusqu'à un certain point, à nous rappeler notre enfance. Comme le cinéma, le jeu vidéo n'échappe pas à cet élan de nostalgie», analyse-t-il. Cette tendance est aussi, du moins en partie, un phénomène générationnel. Comme Thierry Boulanger, le joueur américain moyen est âgé de 35 ans, selon l'Entertainment Software Association.

Ne rien laisser au hasard

Plusieurs mois d'efforts ont précédé la campagne Kickstarter couronnée de succès de Sabotage Studio. Sa planification a débuté à l'été 2019, un an après la sortie de leur titre précédent sur PC et Nintendo Switch, «The Messenger».

Encensé par la critique, le jeu vidéo d'action à la facture rétro s'est valu une note de 86 % sur le site agrégateur Metacritic, en plus de récolter le titre de meilleur premier jeu pour un studio indépendant à l'édition 2018 des Game Awards, les Oscars du jeu vidéo. «" The Messenger " nous a fait connaître. Le défi pour la suite était cependant de taille : il fallait surfer sur ce succès en ralliant notre base de fans», raconte Thierry Boulanger.

Une des clés aura été de cogner à la porte de Kickstarter afin de sonder l'intérêt et les attentes de l'entreprise américaine de financement participatif, qui se garde tout de même une cote de 10 % sur les montants financés sur sa plateforme.

«Dans le passé, elle a financé des projets qui n'ont finalement jamais abouti, ce qui suscite évidemment la grogne chez les contributeurs. En les approchant et en leur montrant le sérieux de notre démarche, nous les mettions en confiance et nous assurions une visibilité certaine», indique le directeur créatif de Sabotage Studio, qui pouvait aussi compter sur ses nombreux contacts dans l'industrie, de même que sur une équipe de développeurs chevronnés issus de grands studios comme Frima et Ubisoft pour faire mousser la collecte de fonds.

En dépit de cela, tout aurait pu dérailler à la dernière minute, alors que la pandémie mondiale de la COVID-19 a forcé l'annulation de la présentation de «Sea of Stars» à la presse spécialisée, qui devait avoir lieu à San Francisco à la mi-mars, lors de l'annuelle Game Developers Conference. «Nous avons pensé tout laisser tomber, mais nous avons finalement opté pour des démonstrations à distance, par visioconférence. Paradoxalement, ç'a été une forme d'occasion, parce que l'attention était moins divisée à ce moment-là», dit Thierry Boulanger.

La stratégie employée par Sabotage Studio représente un cas d'école, estime Nadine Gelly, directrice générale de la Guilde du jeu vidéo du Québec. «Tout le monde me parle de cette formidable histoire ces jours-ci ; c'est vraiment une fierté et un exemple pour l'industrie québécoise du jeu vidéo. [...] Thierry et son équipe ont vraiment bien compris qu'un succès s'ancre tout d'abord dans une communauté solide qu'on arrive à mobiliser», conclut-elle.

 

 

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