Minéraux critiques et stratégiques: pas vraiment maîtres chez nous


Édition du 08 Mai 2024

Minéraux critiques et stratégiques: pas vraiment maîtres chez nous


Édition du 08 Mai 2024

Par François Normand

La société ­Minerai de fer ­Québec, une filiale de l’australienne ­Champion ­Iron, exploite la mine du lac ­Bloom, près de ­Fermont. Elle est l’une des dix mines actives dans les minéraux critiques et stratégiques sur le territoire québécois. (Photo: Joe Alvoeiro)

FILIÈRE BATTERIE. De la Côte-Nord à l’Abitibi-Témiscamingue, des minières produisent ou songent à produire des minéraux critiques et stratégiques (MCS), car le Québec en regorge. Une question se pose dans ce contexte: «Sommes-nous maîtres chez nous?», pour faire un clin d’œil au fameux slogan des libéraux de Jean Lesage en 1962? La réponse est… pas vraiment. Le Québec exerce peu d’influence sur le développement de l’ensemble de la filière.

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À lire aussi: Le Québec peut difficilement accroître son influence dans les MCS

Ainsi, sur les 10 mines actives et les 23 projets miniers concernant les MCS répertoriés par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts, le Québec exerce une « certaine influence » ou une « influence importante » dans 11 cas (deux mines et neuf projets) sur 33, selon une enquête réalisée par Les Affaires. C’est à peine 33 %, de sorte que l’essentiel de l’influence provient donc de l’extérieur du Québec, soit du Canada anglais, soit de l’étranger.

Selon la littérature économique, l’influence du pays d’accueil est importante dans une industrie. En effet, si une société doit fermer un actif (une usine, une mine, etc.), elle sera généralement réticente à le faire dans sa géographie d’origine.

Les minéraux critiques et stratégiques sont très demandés dans le monde. Des entreprises manufacturières utilisent par exemple du lithium, du nickel et du graphite pour produire des batteries de voitures électriques et du stockage d’énergie. Des industriels se servent aussi des éléments du groupe du platine afin de fabriquer les disques durs d’ordinateurs.

Au Québec, le gouvernement de François Legault a relevé 28 minéraux de ce genre dans le Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques (2020‑2025).

Le plan identifie 11 minéraux critiques qui sont nécessaires pour approvisionner les usines québécoises de transformation, dont le zinc et le cuivre.

Pour leur part, les 17 minéraux stratégiques sont liés en grande partie à la transition énergétique, comme le lithium et le graphite. Ces minéraux stratégiques incluent aussi ceux ayant « un bon potentiel de mise en valeur au Québec », dont le scandium et le fer de haute pureté.

Les États qui possèdent de grandes quantités de MSC, comme le Québec, sont donc engagés dans une course contre la montre pour les extraire, les transformer et les vendre.

 

Mines actives: influence dans le fer

Sur les 10 mines actives dans les MSC sur notre territoire, le Québec exerce un peu d’influence dans la filière du fer, à commencer par la société Minerai de fer Québec (MFQ), une filiale de l’australienne Champion Iron, qui exploite la mine du lac Bloom, près de Fermont.

Dans son cas, l’influence est importante, même si Champion Iron a son siège social officiel en Australie. Toutefois, on n’y trouve qu’un seul employé administratif. Tous les membres de la direction travaillent à Montréal — au siège social opérationnel — et vivent au Québec, affirme MFQ. Près de la moitié des membres du conseil d’administration résident aussi au Québec.

L’équipe de direction de MFQ détient 9 % du capital-actions. Pour sa part, le gouvernement du Québec, par l’entremise d’Investissement Québec, est le plus grand actionnaire de Champion Iron à 8,2 %. La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) détient 3,9 % du capital.

Aussi, même si Champion Iron — basé officiellement en Australie — est le premier actionnaire majoritaire de MFQ, le Québec exerce une influence importante sur le développement des projets de cette société sur son territoire.

Par ailleurs, le Québec exerce une certaine influence auprès de Tata Steel Minerals Canada (TSMC), une filière du géant mondial Tata Group, dont le siège social est en Inde. Le gouvernement détient 18 % de la minière qui exploite la mine de fer DSO, à Schefferville.

Le cas d’ArcelorMittal Exploitation minière du Canada a été plus difficile à trancher : elle exploite les mines de fer de Fire Lake et de Mont-Wright, près de Fermont, en plus d’être active dans la deuxième transformation de minerai de fer sur le sol québécois.

Certes, la direction locale à Longueuil prend des décisions, en s’appuyant sur un comité exécutif entièrement basé au Québec, selon l’entreprise. En revanche, l’influence sur son développement s’exerce avant tout à partir du siège social au Luxembourg, qui attribue les enveloppes budgétaires, même s’il consulte la direction locale.

De plus, Investissement Québec, la CDPQ et le gouvernement ne détiennent aucune participation dans ces deux mines québécoises.

Même conclusion pour Rio Tinto Fer et Titane (RTFT) et Glencore Canada, qui exploitent respectivement la mine de titane du lac Tio (près de Havre-Saint-Pierre) et la mine de nickel Raglan (au Nunavik) : l’influence s’exerce avant tout à l’extérieur du Québec.

RTFT — une filiale au groupe britannique Rio Tinto — a un bureau à Montréal qui gère les activités au Québec, mais aussi en Afrique et à Madagascar, sans parler d’une équipe de direction locale, dont la majorité habite ici. En revanche, Investissement Québec n’est pas dans le capital-actions et la CDPQ a une participation dans le groupe mondial, diluant son influence.

Dans le cas de Glencore Canada, dont le siège canadien est à Toronto, la géographie de l’influence a été plus facile à déterminer.

Tous les administrateurs et les dirigeants non membres du conseil d’administration ont une adresse au bureau chef à Toronto, selon le Registraire des entreprises. L’influence principale s’exerce donc en Ontario et en Suisse, où se trouve le siège social de la multinationale suisse.

 

Projets: influence dans le graphite et le lithium

Pour les projets de MCS, le Québec exerce aussi de l’influence dans 9 cas sur 23, surtout dans le graphite, le lithium et les terres rares. Ces dernières regroupent 17 minerais stratégiques pour fabriquer des téléphones intelligents, des éoliennes ou des voitures électriques.

On note d’abord une influence importante dans le graphite avec Nouveau Monde Graphite (NMG), même si le premier actionnaire majoritaire est la britannique Pallinghurst Graphite International, suivie par l’américaine General Motors et la japonaise Panasonic.

Investissement Québec et la CDPQ ont des participations dans la société, qui a un projet de mine de graphite à Saint-Michel-des-Saints. Elle sera mise en service à la fin 2025, voire au début 2026. NMG a aussi un projet de mine sur la Côte-Nord, au lac Guéret, qui pourrait voir le jour en 2029 ou 2030.

NMG estime à 30 % la proportion d’actionnariat québécois dans l’entreprise, incluant des investisseurs privés. Même si des membres du conseil d’administration sont situés à l’étranger, la haute direction de la société est établie au Québec.

Dans la deuxième transformation, Nouveau Monde Graphite inaugurera une usine dans le parc industrialo-portuaire de Bécancour en 2026, qui fabriquera du matériel d’anode actif pour des batteries de lithium-ion.

Dans le lithium, le Québec exerce une influence importante dans Vision Lithium, avec le projet du Dike no5 de Sirmac, près de Chibougamau.

Le Québec a aussi une influence importante dans Nemaska Lithium (copropriétaire de l’américaine Arcadium Lithium), dans laquelle le gouvernement détient 50 % du capital par Investissement Québec.

De plus, la majorité de la haute direction et du conseil d’administration de Nemaska Lithium habite au Québec, selon le Registraire des entreprises. Enfin, au moins un haut dirigeant d’Arcadium Lithium habite aussi ici, selon nos informations.

Malgré son nom, le Québec n’a toutefois pas vraiment une influence notoire sur Sayona Québec, qui exploite la mine La Corne, en Abitibi-Témiscamingue. Cette minière a aussi deux autres projets, en Abitibi-Témiscamingue (Authier) et au nord de Chibougamau (Moblan).

Investissement Québec, la CDPQ et le gouvernement ne détiennent aucune participation dans Sayona Québec. Les deux principaux actionnaires sont l’australienne Sayona Mining (majoritaire) et l’américaine Piedmont Lithium (25 %).

Le nouveau directeur général de Sayona Québec habite au Québec, mais les administrateurs sont situés aux États-Unis et en Australie, selon le Registraire des entreprises.

Enfin, dans le scandium et le zinc, le Québec exerce aussi une influence importante auprès du Groupe minier Impérial, qui a un projet près de Schefferville, ainsi que du côté de Mines Abcourt, qui a un projet au nord de Val-d’Or.

 

Influence dans le domaine des terres rares

Dans le cas de la SOQUEM, une filiale d’Investissement Québec, spécialisée dans l’exploration minière, qui a le projet Kwyjibo, au nord-est de Sept-Îles, l’influence du Québec est très importante. En revanche, cette influence est bien moindre pour la minière Métaux Torngat, même s’il y en a une. Ayant son siège social à Rouyn-Noranda, celle-ci a le projet de terres rares Strange Lake/B-zone, qui est situé très loin au nord-est de Schefferville, à la frontière du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador.

Deux des trois administrateurs habitent aux États-Unis, le chef des opérations habite en Ontario, mais le président de la société réside au Québec, selon le Registraire des entreprises.

Métaux Torngat a trois actionnaires : l’américaine Blarney Mining Consortium (premier et majoritaire), la néerlandaise Promontoria Holging et la québécoise Investisseur HT, basée à Montréal.

Dans les prochaines années et décennies, de nombreuses entreprises remueront ciel et terre au Québec pour valoriser les minéraux critiques et stratégiques qu’on retrouve dans le sous-sol québécois. De la Côte-Nord à l’Abitibi-Témiscamingue, cette activité minière aura d’importantes retombées économiques pour des régions, des villes et des villages. C’est sans parler des nations autochtones, qui veulent en bénéficier et aller au-delà des redevances et des participations dans les projets (lire notre entrevue Tête-à-tête avec Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador).

Notre enquête montre que le défi sera donc de taille pour le Québec, qui a déjà peu d’influence sur le développement de l’ensemble de la filiale des MCS.

Pourra-t-il préserver ce degré d’influence ? Risque-t-il de le voir s’effriter avec la multiplication des projets ? Réussira-t-il plutôt à l’accroître dans ce secteur si névralgique de notre économie et de l’économie mondiale ?

L’avenir n’est pas encore écrit.

 

Avec Jonathan Allard à la recherche

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