C'était il y a environ 15 ans. Chaque semaine, j'avais l'occasion d'interroger un dirigeant. Si sa société était à capital fermé, je lui posais systématiquement la question : «Puis, songez-vous à entrer en Bourse ?». En substance, les pdg répondaient invariablement : «Oui, j'aimerais beaucoup» ou «Peut-être pas pour le moment, mais c'est une option qu'on envisage». Même si les réponses étaient très similaires parmi les divers dirigeants, il y avait chaque fois quelque chose de magique dans leurs propos. On pouvait y déceler une immense fierté d'entrer peut-être un jour à la Bourse. C'était une finalité en soi, un but ultime à atteindre, un rêve qui pouvait devenir réalité, une sorte de consécration.
Aujourd'hui, nous sommes loin de ce genre d'émotion. Lorsque le sujet est évoqué, rares sont les dirigeants québécois qui manifestent de tels sentiments. C'est même quasiment à la mode de dire que son entreprise n'est pas ou n'est plus inscrite à la Bourse. «Vous savez, nous sommes bien contents de gérer sans la pression des résultats trimestriels», peut-on entendre régulièrement.
Et pourtant, c'est la Bourse et notamment le régime d'épargne-actions qui a permis à de nombreuses entreprises québécoises de passer de PME à géantes. Pensons à Alimentation Couche-Tard, CGI ou Transcontinental. Pourquoi un tel désintérêt aujourd'hui ? Disons qu'il y a deux principales raisons, selon Martin Deschênes, président du conseil et associé de Raymond Chabot Grant Thornton. D'une part, les taux d'intérêt sont si bas que les coûts d'emprunt auprès des banquiers sont attrayants. D'autre part, la réglementation est beaucoup plus complexe aujourd'hui. «Entretenir la plomberie est lourd», résume M. Deschênes. Il faut entre autres publier des états financiers chaque trimestre. «Lever 50 millions de dollars sur les marchés publics est aujourd'hui particulièrement coûteux, résume M. Deschênes. C'est pour cette raison que les premiers appels publics à l'épargne sont plutôt de l'ordre de 200 M$ et plus, et qu'il y en a peu.»
Dans ce contexte, il est assez facile de comprendre pourquoi les propriétaires d'entreprises sont moins enclins à se tourner vers les marchés publics. Des solutions sont avancées pour tenter d'alléger le fardeau réglementaire. Bonne idée. Si c'était si simple. À tout cela, il faut ajouter la crainte pour les propriétaires de perdre le contrôle de leur entreprise, souligne M. Deschênes. Et qui dit perte de contrôle peut aussi vouloir dire perte de siège social dans le cadre d'une offre publique d'achat. Dossier complexe qui mérite qu'on s'y attarde pour faire en sorte que les dirigeants retrouvent ce sentiment de fierté qui, il n'y a pas si longtemps, les faisait voir grand.
Géraldine Martin
Éditrice adjointe et rédactrice en chef,
Groupe Les Affaires
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