Voir grand, démarrer petit

Publié le 19/11/2011 à 00:00

Voir grand, démarrer petit

Publié le 19/11/2011 à 00:00

Moins d'un mois après son lancement, en septembre, le livre The Lean Startup de l'auteur américain Eric Ries se hissait au palmarès des meilleures ventes du New York Times. Conférencier-vedette dans le démarrage d'entreprises techno, Eric Ries a mis au point un concept révolutionnaire pour développer et vendre un produit technologique. Nous l'avons interviewé avant son intervention à Québec, le 10 novembre, à l'occasion de la finale de Devtech 50, une compétition en entrepreneuriat technologique.

Les Affaires - Pour vous, l'entrepreneuriat n'est pas tant une question de confiance, d'efforts et de chance (être à la bonne place au bon moment), mais plutôt une question de gestion. Pourquoi fallait-il briser ce mythe ?

Eric Ries - Dans les films, les efforts et la confiance suffisent, mais dans la vie, quand on persévère trop longtemps, quand on est trop têtu pour tenir compte de la réalité, ça peut être désastreux. C'est important d'avoir la bonne idée et d'être au bon endroit au bon moment, mais c'est insuffisant. Il est arrivé dans l'histoire que des entrepreneurs et industriels qui ont eu une bonne idée et ont été au bon endroit au bon moment n'aient pas fait d'argent du tout. C'était vrai pendant l'explosion de l'industrie automobile. Des centaines d'entrepreneurs ont tenté de démarrer des entreprises bien avant qu'il y ait assez de gens capables de s'offrir une voiture. C'est très complexe, les facteurs de réussite, et ce qui distingue les gagnants des perdants, ce n'est pas forcément la meilleure idée, mais plutôt la capacité de bien concrétiser cette idée. L'objectif du démarrage minceur est justement d'apprendre à trouver le bon chemin pour concrétiser notre vision.

L.A. - Le démarrage minceur est un concept emprunté à la production optimisée [lean manufacturing] mise en place chez Toyota. Comment les principes minceur s'appliquent-ils au démarrage d'entreprise ?

E.R. - Toute l'énergie de la gestion doit être consacrée à la disparition du gaspillage, de manière à ce qu'on puisse concentrer nos efforts sur les secteurs de l'entreprise qui ont de la valeur. Pour établir la différence entre valeur et gaspillage, dans un contexte manufacturier, il faut connaître qui est le consommateur, ce qu'il aime et ce qu'il veut. L'entrepreneuriat doit aussi éliminer le gaspillage et favoriser ce qui a de la valeur. La valeur, dans une jeune pousse, est de découvrir comment bâtir une entreprise viable. Alors tout ce qui favorise cette découverte crée de la valeur et tout le reste est du gaspillage. Une fois qu'on s'est rendu compte de cela, on peut utiliser les techniques du lean manufacturing ; accélérer les cycles ou arrêter la chaîne de production si un problème se présente.

L.A. - L'entrepreneuriat tel que vous l'entrevoyez est en étroite relation avec l'humilité. Il faut tester ses hypothèses plusieurs fois dans le processus, être capable d'écouter ce que les consommateurs ont à dire. Est-ce difficile ?

E.R. - C'est très difficile, et voici pourquoi : les entrepreneurs visionnaires tiennent pour acquis que les consommateurs ne savent pas ce qu'ils veulent et ils se donnent pour mission de leur faire découvrir leurs désirs. En fait, il est vrai que les consommateurs ne savent pas ce qu'ils veulent, mais ça ne veut pas dire de ne pas les écouter. Nous devons mesurer comment ils se comportent afin de découvrir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. La différence entre l'entrepreneuriat et l'analyse de marché, c'est qu'on n'est pas là juste pour faire un rapport sur le comportement des consommateurs, mais pour vérifier, à partir de nos expérimentations, si les comportements des consommateurs correspondent ou non à nos croyances d'entrepreneur.

L.A. - Vous créez la notion de «produit viable minimum» (minimum viable product), ce avec quoi on devrait démarrer l'entreprise. Pourquoi suggérez-vous cette avenue ?

E.R. - La plupart des entrepreneurs veulent grandir rapidement et fabriquer un produit optimal, à toute vitesse. Mais pour commencer à apprendre, on n'a pas besoin d'un produit très élaboré. Il suffit d'un produit simple, voire minimal, pour effectuer des tests auprès d'un petit groupe, ce qui permet de recevoir de la rétroaction sur le produit. Tout le monde veut être Steve Jobs qui présente un iPad, mais on oublie qu'avant de monter sur la scène, il a d'abord inventé le premier produit Apple. En démarrant une entreprise, il ne faut pas vouloir être le célèbre Steve Jobs, mais plutôt celui qui met au point son Apple 1 dans un garage.

L.A. - Une fois qu'on a recueilli des données sur la réception du produit par les consommateurs, il faut prendre des décisions. Les tests peuvent faire ressortir une grande erreur, alors comment ensuite faire confiance à son jugement ?

E.R. - Ce que j'appelle le pivot est un changement de stratégie, sans changement de vision. La vision ne peut jamais être mauvaise. Si vous imaginez un monde où les problèmes d'aujourd'hui sont disparus, ou que votre mission dans une entreprise est d'aider les gens à avoir plus d'amis, ces visions ne peuvent pas être des erreurs, mais elles peuvent arriver trop tôt. Vous ne savez pas s'il faudra un an ou 100 ans pour que la vision se concrétise, alors c'est insensé d'évaluer si une vision est vraie ou fausse. Tout ce qu'on peut dire, c'est si le chemin précis pour parvenir à concrétiser la vision est le bon ou le mauvais. Et c'est ce à quoi servent les tests de produits. Avons-nous choisi le bon chemin ou devons-nous prendre un détour ? Utiliser des données, ça ne veut pas dire de ne pas avoir de vision ni de faire tout ce que les gens vous disent de faire. Les tests servent à évaluer si on se rapproche de notre vision en suivant le sentier choisi ou si nous devons trouver un autre sentier.

L.A. - Une fois que les tests sont faits, quand suggérez-vous d'accélérer le processus ?

E.R. - Dès que votre moteur fonctionne, c'est le moment d'appuyer sur l'accélérateur pour tenter d'aller plus loin. Je dis qu'il faut voir grand, démarrer à petite échelle (think big, start small) et accélérer.

L.A. - Le démarrage minceur est bien plus qu'un livre et des conférences, c'est devenu un mouvement. Qu'est-ce qui vous a motivé à investir votre énergie dans ce concept ?

E.R. - Dans ma carrière, j'ai eu la chance de travailler avec des gens talentueux, mais la plupart d'entre eux ont perdu leur temps sur des projets. Tout ce temps et toute cette énergie investis dans la fabrication de produits que personne n'utilise aujourd'hui, je pense que c'est criminel ! J'ai rencontré des milliers d'entrepreneurs : ils travaillent avec leur c&#339ur et ne comptent pas leurs heures. Si ce travail ne signifie rien pour personne, c'est déprimant ! Je crois donc que, comme société, nous devons devenir meilleurs pour exploiter notre plus précieuse ressource, le temps des gens.

L.A. - Quel impact cela aurait-il, d'après vous, sur l'économie mondiale ?

E.R. - Dans quelques décennies, quand nous regarderons l'économie d'aujourd'hui, nous en rirons. Nous devons maîtriser ce nouveau paradigme de gestion [le démarrage minceur] sinon, nous allons échouer. Le monde dans lequel nous vivons est plus incertain que jamais et, en conséquence, nous avons un urgent besoin d'entrepreneurs qui créent des emplois et de la valeur. Tous les emplois qui peuvent être automatisés le seront. Ainsi, le travail routinier est appelé à disparaître. Car, si nous pouvons profiter de la créativité de chacun, nous vivrons dans un monde meilleur.

valérie.lesage@transcontinental.ca

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