Les secrets des employeurs d'exception

Publié le 03/10/2009 à 00:00

Les secrets des employeurs d'exception

Publié le 03/10/2009 à 00:00

Janvier 2009, au plus fort de la tempête qui a secoué l'économie. Réunis dans la salle de bal, les employés de l'hôtel cinq étoiles Sofitel Montréal apprennent que l'établissement de la rue Sherbrooke met en oeuvre un plan d'austérité en réponse à la crise. "On nous a assurés que personne ne perdrait son emploi. Mais tout le monde serait touché, des gestionnaires aux plongeurs", se souvient Dominic Arel, directeur de l'exploitation de l'hôtel de luxe du groupe Accord.

Et tout le monde l'a été. Il y a un gel d'embauches, et l'horaire de plusieurs employés est réduit. Certains employés voient leur liste de tâches allongée. D'autres sont mutés dans d'autres villes. L'adoption des nouveaux uniformes et la réalisation de rénovations sont reportées.

Depuis son ouverture, en 2002, jamais l'établissement n'avait été contraint à prendre de telles mesures. Mais compte tenu des déboires de l'économie et de l'effondrement du tourisme américain, les employés n'avaient pas besoin d'un dessin pour comprendre la gravité de la situation.

Concentré sur sa réorganisation, Sofitel ne s'est pas soumis au rigoureux processus de participation au concours Défi Meilleurs Employeurs cette année. Mais dans sa manière de composer avec son personnel alors que son secteur est frappé par une dure baisse des affaires, on comprend mieux comment il a pu être le meilleur employeur au Québec en 2007.

Cette année est la huitième édition du Défi Meilleurs Employeurs. Mais c'est la première à être tenue durant une période aussi tumultueuse. L'occasion était trop belle : nous sommes allés voir chez les lauréats de cette année et des gagnants des années précédentes, comme Sofitel, comment les employeurs de choix manoeuvrent quand l'économie se porte mal. Nous pourrions croire qu'être un employeur de choix est luxe que l'on se paie en temps de prospérité. Ce n'est pas ce que nous avons vu sur le terrain. En fait, c'est dans les temps difficiles - les employés des entreprises participantes ont été sondés au pire du ralentissement économique, au début 2009 - qu'on est le mieux placé pour apprécier les organisations qui se distinguent.

Alors, comment reconnaît-on un employeur de choix en temps de récession ?

1 Le contact avec les employés

Quand l'économie va bien, les organisations se font un point d'honneur de communiquer leurs réalisations, comme l'augmentation des chiffres de vente et l'obtention d'importants contrats ou de grands clients. Il faut en faire autant dans les temps difficiles.

"Il ne sert à rien de cacher la vérité aux employés, affirme Florent Francoeur, pdg de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). Quand les choses tournent mal, c'est le moment de dire à ses employés qu'ils sont aussi importants qu'on le leur disait quand tout allait bien."

Selon Pierre Lainey, spécialiste de la gestion et professeur à HEC Montréal, la communication est sans doute encore plus importante en temps de crise. "Les gens ont besoin d'information. Lorsqu'ils n'en ont pas, ils la créent eux-mêmes en lançant des rumeurs, dont certaines sont dommageables."

L'hôtel Sofitel Montréal s'est montré exemplaire. "À première vue, dire que nous allions être touchés par la crise n'allait pas motiver les troupes, reconnaît Dominic Arel, directeur de l'exploitation du Sofitel Montréal. Pourtant, le fait d'expliquer à nos employés comment nous allions réagir dans les circonstances a rassuré tout le monde."

L'opération a eu plusieurs effets bénéfiques : les employés ont plus facilement accepté les compromis exigés et se sont ralliés aux objectifs de l'entreprise. Sofitel n'a pas eu de difficulté à convaincre le personnel de prendre ses vacances durant les périodes creuses et de demeurer disponible aux moments les plus achalandés.

Dans l'adversité, des objectifs clairs permettent de mieux faire accepter les compromis douloureux qui s'imposent, dit Claire Landry, psychologue industrielle et directrice principale de Raymond Chabot Ressources humaines. "Quand on connaît le pourquoi de sa vie, on s'accommode d'à peu près tous les comment", explique-t-elle.

2 L'affirmation des valeurs

La division québécoise de Xerox n'a pas été épargnée par la récession. L'entreprise a revu et abandonné plusieurs activités jugées non essentielles. Certains événements ont été ramenés à des dimensions plus modestes, quand ils n'ont pas été simplement annulés. Des formations de groupe qui devaient avoir lieu à Toronto ont été remplacées par des classes virtuelles.

Par contre, certaines activités non stratégiques pour la société continuent d'être appuyées financièrement. Par exemple, Xerox a continué à soutenir un employé qui a traversé le Canada à vélo afin d'amasser des fonds pour la recherche sur la maladie mentale. Le périple a duré plusieurs mois. "Ça ne coûte pas une fortune et, pendant des semaines, les employés suivent les progrès de leur collègue. Lorsqu'on procède à des mises à pied, les employés comprennent que nous annulions un gala, mais que nous maintenions notre participation à ce genre de projet. C'est trop lié à ce que nous sommes", soutient Martine Normand, vice-présidente, ressources humaines de Xerox Canada.

Selon Richard Bougie, de Watson Wyatt, les meilleurs employeurs ne se démarquent pas par les valeurs qu'ils se donnent, mais par la manière dont ils les mettent en application.

Le renforcement des assises est essentiel chez Xerox. Résultat : malgré la diminution de ses effectifs - qui l'ont fait passer de grande à moyenne entreprise -, la division québécoise de Xerox demeure une des organisations les plus appréciées de ses employés.

L'employé reste au coeur des préoccupations dans cette société, même si des impératifs économiques lui fourniraient le prétexte idéal pour faire des compromis sur cette valeur. "Personne ne sauve des vies chez nous, rappelle Martine Normand. Mais chacun a quand même besoin de donner un sens à sa tâche, de se faire dire ou redire combien son travail est apprécié."

3 La vision à long terme

Les mises à pied sont parfois interprétées comme des ruptures de promesse par les employés qui demeurent dans l'organisation. À défaut de bien faire les choses, les employés dont vous aurez choisi de conserver les services en période difficile seront les premiers à quitter le navire au moment d'une reprise.

Avant de procéder à des licenciements, les meilleurs employeurs évaluent d'autres options, comme proposer des réductions du temps de travail, des congés sabbatiques ou encore des retraites anticipées.

La vice-présidente et directrice financière de Xerox Canada, Mandy Shapansky, a montré l'exemple en prenant elle-même un congé sabbatique de quatre mois.

Sofitel a tout mis en oeuvre pour éviter les mises à pied. L'hôtel a ainsi muté un des sous-chefs au restaurant du Sofitel de Miami. D'autres employés de Montréal ont pris la route de Washington et de New York. Ces hôtels ont bénéficié d'employés déjà formés. Ces derniers ont profité d'une expérience professionnelle en plus de conserver leur emploi.

Quand sa main-d'oeuvre dépasse ses besoins, le Centre de réadaptation Estrie, à Sherbrooke, prête des professionnels à des établissements voisins qui, eux, connaissent des pénuries chroniques de main-d'oeuvre. Quand les besoins se font de nouveau sentir, l'employé prêté revient généralement au bercail, reconnaissant d'avoir vécu pareille expérience.

Certaines organisations vont plus loin. Elles profitent de l'accalmie pour former leurs employés, pour ainsi être mieux positionnées au moment de la reprise. Les employés améliorent non seulement leurs compétences, ils deviennent aussi plus motivés, car ils perçoivent qu'on croit en eux. "C'est le moment idéal pour investir dans la formation. Les employés apprécient et, pour une rare fois, ils sont moins occupés par le travail qu'à l'habitude", affirme Richard Bougie, spécialiste du développement organisationnel, chez Watson Wyatt.

La chaîne de cliniques Physio Extra est engagée dans cette voie. La formation continue est obligatoire pour son personnel. L'entreprise n'a pas hésité à libérer une employée et à défrayer les coûts de sa formation dans une spécialité qui la passionne. Aujourd'hui, non seulement cette employée attire une nouvelle clientèle, mais elle permet à son entreprise de rayonner dans les congrès scientifiques.

Le moment est par ailleurs idéal pour consulter le personnel et le faire participer à la recherche de solutions avec la direction. "Les employés adorent participer aux décisions de gestion et voir leur expertise reconnue", explique Martine Normand, de Xerox. Le climat actuel permet de mieux reconnaître les leaders émergents, ceux qui font preuve de résilience et pourront travailler au développement de l'entreprise.

Pour les meilleurs employeurs, la récession offre une autre occasion de se distinguer. Et de prendre une longueur d'avance sur leurs concurrents.

LA MÉTHODOLOGIE DE L'ENQUÊTE

Le Défi Meilleurs Employeurs est ouvert aux entreprises de plus de 50 employés qui ont des activités au Québec. Cette année, 53 entreprises, réparties en trois catégories, ont répondu à l'invitation : 50 à 199 employés, 200 à 499 employés et 500 employés et plus.

Les participants se soumettent à un processus d'évaluation rigoureux. Les employés des entreprises participantes répondent à un questionnaires comptant 75 questions. Conçu par la firme Watson Wyatt, il évalue huit grandes dimensions : la visée, la capacité, l'intégrité, le leadership, la gestion des talents, la rétribution et les avantages sociaux, la santé et la fidélité.

Pour assurer la validité des résultats, des seuils minimaux de participation par catégorie d'employés étaient déterminés pour chaque organisation en fonction de la taille de l'entreprise. Plus celle-ci était petite, plus le seuil était élevé. Le taux de participation moyen des répondants était de 70 %.

COMMENT INTERPRÉTER LES RÉSULTATS

4,50 et plus : Ces employeurs suscitent un engagement productif très fort de tous leurs employés. En plus de maximiser la gestion des ressources humaines, ils transmettent des valeurs élevées.

4 à 4,49 : Ce sont les meilleurs employeurs du Québec. Ces entreprises prennent une série d'initiatives pour maximiser la gestion des ressources humaines.

3,75 à 3,99 : Meilleures que la moyenne, ces entreprises doivent corriger certains aspects de leur gestion des ressources humaines pour faire partie des meilleurs employeurs.

3,25 à 3,74 : La plupart des entreprises se classent dans cette catégorie. Elles suscitent chez leurs employés un engagement productif moins élevé.

3,24 et moins : La gestion des ressources humaines représente un défi important pour ces entreprises. Elles risquent de connaître un taux de roulement important et de subir des pertes de productivité causées par le manque d'engagement de leurs employés.

martin.jolicoeur@transcontinental.ca

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